Communication du Comité des Ministres à l'Assemblée parlementaire – Maximilian Reimann

Prostitution, traite et esclavage moderne en Europe (doc. 12920) – Doris Fiala, Liliane Maury Pasquier, Alfred Heer

Rapport annuel d'activité 2013 du Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe – Luc Recordon

La demande de statut de Partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire présentée par le Parlement de la République kirghize (Doc. 13461) – Andreas Gross

Développements récents en Ukraine: menaces pour le fonctionnement des institutions démocratiques (Doc. 13482) – Elisabeth Schneider-Schneiter

Réexamen, pour des raisons substantielles, des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation russe (Doc. 13483) – Andreas Gross

Nécessité de s’occuper d’urgence des nouveaux cas de défaut de coopération avec la Cour européenne des droits de l'homme (Doc. 13435) – Doris Fiala, Luc Recordon

La protection des mineurs contre les dérives sectaires (Doc. 13441, Doc. 13467) – André Bugnon

Les réfugiés et le droit au travail (Doc. 13462) – Andreas Gross

 

Communication du Comité des Ministres à l'Assemblée parlementaire – Maximilian Reimann

M. REIMANN – Depuis de nombreuses années, le Conseil de l’Europe essaie d’obtenir une délimitation plus claire de ses activités par rapport à d’autres organisations internationales, dont l’OSCE. Aujourd’hui, le Conseil de l’Europe est sur le point de créer un Partenariat pour la démocratie avec le Kirghizstan, qui est très loin de l’Europe et membre de l’OSCE et qui dispose d’un pilier «démocratie et droits de l’homme». Pensez-vous, en tant que représentant du Comité des Ministres, que cela ne fera pas double emploi?

 

Réponse de M. Sebastian KURZ (Autriche), Ministre pour l’Europe, l’Intégration et les Affaires étrangères de l'Autriche, Président du Comité des Ministres – M. Reimann m’a interrogé sur les compétences respectives du Conseil de l’Europe et de l’OSCE. Il me paraît nécessaire que les organisations internationales se consacrent chacune à ses priorités, qu’elles se spécialisent, en quelque sorte. Le Conseil de l’Europe est ainsi spécialisé sur les droits de l’homme et a montré, en Ukraine, qu’il peut apporter une contribution spécifique, que d’autres ne peuvent apporter. En revanche, d’autres tâches relèvent davantage d’autres organisations, qui disposent de compétences et de moyens spécifiques, comme l’OSCE. Quant à la décision prise à propos du Kirghizistan, elle ne relève pas du Comité des Ministres. C’est une décision tout à fait souveraine de l’Assemblée parlementaire. Le Comité des ministres n’a pas à se prononcer à ce propos.

 

Prostitution, traite et esclavage moderne en Europe (doc. 12920) – Doris Fiala, Liliane Maury Pasquier, Alfred Heer

Mme FIALA, porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe – José Mendes Bota a rédigé un rapport très important sur un sujet malheureusement d’actualité. Je le remercie au nom de mon groupe pour cet excellent travail. La traite des êtres humains est un drame qu’il convient de combattre. Les souffrances, les risques sont divers, multiples et inacceptables. Le travail forcé, le trafic d’organes, l’exploitation sexuelle sont des violations inacceptables des droits de l’homme, une forme d’esclavage moderne. Ce rapport étudie différents Etats membres du Conseil de l’Europe. Tous n’ont pas signé la convention de lutte contre la traite des êtres humains, notamment le Liechtenstein, Monaco, la Turquie et la Fédération de Russie.

Le rapport montre que la légalisation de la prostitution pourrait avoir des effets négatifs. Nous avons des données sur 150 Etats qui montrent que cette légalisation entraînerait plutôt une augmentation de la traite des êtres humains. Les libéraux auront peut-être du mal à accepter une interdiction de la prostitution. Ils estiment qu’elle mettrait les prostituées dans une situation bien plus grave. Concernant mon pays qui est de structure fédérale, la situation est encore plus complexe parce que le droit varie d’un canton à l’autre. Dans ce rapport, trois propositions peuvent être concrétisées.

La première concerne la ratification de la convention contre la traite des êtres humains par les pays qui n’y ont pas encore procédé. La deuxième est d’exiger la création d’une collecte de données européennes sur la prostitution et la traite des êtres humains. C’est une condition essentielle pour prendre des mesures politiques et les évaluer. La troisième proposition porte sur l’approche retenue dans le Sex Purchase Act, l’achat des actes sexuels. On ne punit pas l’offre de service mais l’achat. Cette approche permet de protéger les femmes, de réduire la demande de prostitution. En Suède elle a été couronnée de succès. J’appuie les conclusions de ce rapport.

 

Mme MAURY PASQUIER, porte-parole du Groupe socialiste – Traiter l’humain comme une marchandise : c’est en cela que consiste la traite, qui constitue une grave violation des droits de la personne humaine. Les membres du Groupe socialiste sont donc unanimes sur le fait qu’il faut à tout prix renforcer la protection des victimes de la traite et le respect de leurs droits, et qu’il faut, bien sûr, combattre ce phénomène, conformément à la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains.

Comme le souligne M. Mendes Bota – que je tiens à féliciter pour la sensibilité dont il a fait preuve pour rédiger un rapport sur cette question délicate –, la traite à des fins sexuelles est fortement répandue et le lien entre traite et prostitution est, par conséquent, étroit. Au vu de la diversité des lois et des pratiques sur le continent européen, le rapporteur souligne, page 15 du rapport, qu’à son avis «il ne serait guère possible de proposer une politique unique en matière de prostitution pouvant convenir à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe». Et effectivement, au sein même du Groupe socialiste, les avis divergent sur les manières de réglementer la prostitution pour mieux protéger les victimes de la traite. Certains et certaines penchent pour l’incrimination des clients, selon le modèle suédois, quand d’autres, dont je fais partie, privilégient une réglementation pragmatique et libérale de la prostitution.

Au-delà de ces différents chemins vers un objectif partagé, les membres du Groupe socialiste appuient toutes et tous, sans réserve, la nécessité de développer la collecte de données et les recherches sur la prostitution, sur la traite et sur les effets des différentes réglementations. De même, les offres d’accueil et de conseil pour les travailleurs et travailleuses du sexe, tout comme les mesures de sensibilisation, d’information et de formation du public et des professionnels concernés, le tout en étroite collaboration avec la société civile, suscitent notre pleine adhésion. Sans oublier les mesures légales permettant aux victimes étrangères de déposer plainte sans crainte de renvoi dans leur pays d’origine, ni la prise en compte de la dimension économique de ces filières.

Comme le souligne le rapport sur la base du cas de l’Allemagne, le fait de légiférer sur la prostitution ne contribue pas automatiquement à réduire la traite des êtres humains, ni ne garantit l’amélioration des conditions de travail des travailleuses et travailleurs du sexe. Aucune législation n’a d’ailleurs de tels effets magiques. La manière de mettre en œuvre cette législation est, je le crois, plus décisive, comme le montre le cas de la Suisse, mon pays, où la législation actuelle, qui tolère la prostitution et permet aux cantons de la réglementer, bénéficie d’un large soutien. Si la loi fonctionne de manière satisfaisante, c’est en grande partie parce que sa mise en œuvre se fait de concert entre les organisations de travailleuses et travailleurs du sexe, les associations de protection des victimes potentielles, les forces de l’ordre et le système judiciaire, tout ce qui concerne spécifiquement la lutte contre la traite faisant l’objet d’un plan d’action national cohérent contre la traite des êtres humains.

Mais si nous voulons lutter efficacement contre ce fléau, il est nécessaire de changer la vision générale de la société et de changer les rapports entre hommes et femmes. Il faut aussi éviter l’hypersexualisation des enfants. L’interdiction de la prostitution ne fait que reporter le problème, soit dans la clandestinité, soit dans les pays de tourisme sexuel.

Il ne s’agit pas pour moi de citer mon pays en exemple, mais de montrer qu’entre moralisation et indifférence de nombreuses approches sont possibles. Au-delà de la législation adoptée, l’application de la loi et l’implication d’un large spectre d’acteurs est déterminante. Le rapport aussi complet qu’intéressant de M. Mendes Bota le montre bien. Puisse ce travail, pour lequel nous le remercions, contribuer à atteindre nos objectifs : l’amélioration de la situation des travailleurs et travailleuses du sexe, la lutte contre la traite et la protection des victimes.

 

M. HEER – Je vous remercie, Monsieur Mendes Bota, pour votre rapport concernant la prostitution en Europe. Comme ma collègue Mme Fiala l’a dit, en Suisse, nous avons une approche libérale. Une loi réglemente la prostitution, qui n’est pas interdite comme en Suède. Nous sommes quelque peu surpris des considérations, inspirées du modèle suédois, qui visent à pénaliser l’achat de services sexuels. Prenez le point 12 du projet de résolution. Il exige que les lois, les réglementations en matière de sécurité sociale ou d’imposition soient revues et appliquées à tous les échelons de l’administration. Comment pouvez-vous mettre en pratique ce paragraphe si vous décidez de pénaliser la prostitution ? C’est impossible ! Si la prostitution devient illégale, vous ne pourrez pas percevoir des cotisations sociales, des impôts, et vous n’aurez plus accès aux hommes et aux femmes qui se prostituent. Cela compromettra aussi le travail des ONG. Ensuite, mon collègue russe l’a dit très clairement, la pénalisation de la prostitution ouvre la porte au crime organisé, le renforce et conforte ceux qui en vivent.

Chez nous, c’est légal. Nous avons des lois, une police spécialisée, des ONG qui peuvent avoir accès aux maisons closes, et nous savons parfaitement qui travaille en Suisse. Nous savons si les travailleurs du sexe exercent de plein gré ou non.

Quant à la traite des êtres humains, c’est un phénomène terrible. Ce crime est passible d’une peine de réclusion pouvant aller jusqu’à quinze ans. Dans plusieurs cas, une peine très sévère a effectivement été prononcée. Ainsi, des personnes qui avaient fait venir des transsexuels de Thaïlande dans le canton de Berne et d’autres qui avaient fait venir des personnes de Bulgarie ou de Roumanie ont été condamnées à quatorze ans d’emprisonnement. Si l’on avait rendu la prostitution illégale chez nous, eh bien, ces personnes seraient quand même venues en Suisse, mais il serait plus difficile pour la police de faire son travail et de mener des enquêtes. De même, les travailleurs sociaux auraient beaucoup plus de mal à rencontrer ces personnes, notamment les femmes, et à les convaincre de déposer en justice et à dénoncer les auteurs de faits de traite des êtres humains.

C’est la raison pour laquelle je propose de supprimer le point 12.1.1 du projet de résolution, qui recommande de suivre le modèle suédois. Je ne pense pas qu’un seul et même modèle puisse s’appliquer à l’ensemble du continent. Chaque pays doit pouvoir décider s’il souhaite libéraliser ou non la prostitution.

En outre, la traite des êtres humains est une réalité, et il faut préserver l’accès des travailleurs sociaux aux prostituées.

 

Rapport annuel d'activité 2013 du Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe – Luc Recordon

M. RECORDON, porte-parole du Groupe socialiste – Je voudrais demander à M. le Commissaire aux droits de l’homme comment il voit les droits humains en Crimée, leur réalité juridique et, surtout, leur effectivité, maintenant que cette aire est passée, à la hussarde, d’un Etat membre du Conseil de l’Europe à un autre. Est-ce que l’épuisement des voies nationales de recours est garanti ? Est-ce que le recours à la Cour européenne de Strasbourg l’est aussi?

 

Réponse de M. Nils MUIŽNIEKS, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe – Je ne suis pas encore allé en Crimée, mais il ressort tout à fait clairement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qu’il ne saurait exister de vacuum des droits de l’homme dans l’espace européen sur lequel s’applique la Convention européenne des droits de l’homme. Tous les individus qui habitent en Crimée peuvent se prévaloir de celle-ci, et il revient à la Cour de décider à qui les arrêts doivent être adressés.

 

La demande de statut de Partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire présentée par le Parlement de la République kirghize (Doc. 13461) – Andreas Gross

M. GROSS, rapporteur de la commission des questions politiques et de la démocratie – Chers collègues, il existe des malentendus sur les perspectives aujourd’hui offertes à la République kirghize, ce pays très lointain. Je rappelle que nous avons créé le statut de partenaire pour la démocratie pour tous les pays situés dans le voisinage du Conseil de l’Europe et qui font l’effort de consolider leur démocratie. Ils ne peuvent pas devenir des Etats membres de notre Organisation mais ils ne veulent pas être de simples observateurs, comme le Mexique, le Japon ou les Etats-Unis. Nous ne nous dirigeons donc pas vers une future adhésion de la République kirghize, ni vers l’élargissement du Conseil de l’Europe en Asie centrale. Nous ne voulons pas devenir un modèle réduit des Nations Unies. En revanche, nous sommes ouverts au soutien de pays situés dans notre voisinage, dans l’intérêt de la démocratie. Nous avons déjà accordé ce partenariat au sud de nos frontières, au Maroc et aux Palestiniens. La Jordanie est également candidate à ce statut. Depuis quatre ans, la République kirghize s’efforce d’obtenir le statut de partenaire pour la démocratie. Elle sera le premier Etat à l’est des frontières du Conseil de l’Europe à l’obtenir.

Le peuple du Kirghizistan est un peuple très ancien, qui a des racines turques, mongoles et ouigours. Ce pays est aussi un voisin de la Russie, dont il est séparé par le Kazakhstan. C’est très loin d’ici, à plus de 4 000 kilomètres ; il faut traverser toute la Turquie avant d’y arriver.

Lorsque nous avons pris connaissance pour la première fois de l’avant-rapport de M. Çavuşoğlu sur l’octroi du statut de partenaire pour la démocratie au Parlement kirghize, nous avons été nombreux à nous dire que nous devions essayer d’en savoir plus, car nous ne connaissions pas grand-chose à ce pays. Une sous-commission ad hoc a été créée et, à l’automne dernier, nous nous sommes rendus sur place. Nous avons pu parler avec nos collègues députés kirghizes et nous nous sommes rendu compte qu’il s’agissait d’un peuple assez pauvre, entouré de dictatures et de régimes autoritaires. Notre aide serait donc la bienvenue. Ce pays est en quelque sorte une perle au milieu du désert, car les autres pays de la région ne veulent pas de la démocratie et se rient de ce peuple qui s’efforce de devenir démocratique. Il serait donc particulièrement intéressant pour nous de travailler avec lui.

Ce pays a pris pour la première fois son indépendance en 1991. À partir de 1876, il avait été intégré à l’empire russe. Il a d’ailleurs nourri une relation assez positive avec les Russes, de même qu’avec les Chinois. Auprès de ces derniers, il recherche un soutien en matière économique ; de la part des Russes, il attend une aide en matière énergétique ; de l’Europe, il espère plus de démocratie et recevoir des informations en la matière. Dans une telle situation, lui dire non ne serait pas responsable. Nous avons intérêt à ne pas être une île de démocratie ; nous avons intérêt à ce que, autour de nous, les démocraties se renforcent et se consolident.

En outre, ce pays a déjà connu deux révolutions depuis 1991. Par ailleurs, il a réussi à surmonter les structures oligarchiques qui encadraient la société. Il ne veut plus être une démocratie purement présidentielle et trop autoritaire. Tout au contraire, il souhaite devenir une démocratie parlementaire, sans avoir à sa disposition les traditions qui vont avec. À cet égard, ce pays apparaît isolé dans cette région d’Asie.

La totalité des présidents de groupe a donc décidé qu’il serait bon d’accorder le statut de partenaire pour la démocratie à ce parlement ; à la quasi-unanimité, la commission des questions politiques et de la démocratie en a décidé de même.

Ce n’est pas une médaille que nous vous décernons pour un travail déjà réalisé et que nous devons d’arborer ; c’est le signe d’une volonté mutuelle de travailler ensemble.

Il s’agit, de votre côté, de progresser et, du nôtre, de travailler avec vous. Il y a quelque temps, votre parlement a été tenté, si j’ai bien compris, de voter une loi discriminant les homosexuels, à l’image de ce qui s’est passé en Russie. Nous avons immédiatement dit que ce n’était pas possible car une telle décision était contraire à notre idée des droits de l’homme ; vous vous êtes rendus à cet avis. Grâce au statut qui vous sera accordé, un dialogue pourra se nouer. Une meilleure connaissance mutuelle en résultera. Cela vous aidera aussi à progresser vers la consolidation de votre démocratie parlementaire.

Pour toutes ces raisons, je demande à tous nos collègues de l’Assemblée parlementaire de soutenir cette demande. Cela dit, il faut aussi avoir conscience des limites du statut de partenaire pour la démocratie : ce ne sont pas des félicitations que nous adressons au parlement kirghize ; c’est une invitation à un travail commun – telle est bien, en effet, l’idée que l’Assemblée parlementaire souhaite développer, au Sud et à l’Est.

 

Développements récents en Ukraine: menaces pour le fonctionnement des institutions démocratiques (Doc. 13482) – Elisabeth Schneider-Schneiter

Mme SCHNEIDER-SCHNEITER – La situation en Ukraine reste tendue et les réformes internes, si nécessaires pourtant, ne progressent que très lentement. La population ukrainienne a démontré, en protestant pendant des mois, qu’elle voulait un changement, une démocratisation durable. Elle la mérite, et tous les Ukrainiens en tireraient profit.

Nous devons donc faire en sorte que soient organisées des élections démocratiques, transparentes, impliquant toutes les couches de la population. Car c’est ainsi que l’on assurera le succès des réformes. L’observation des élections prévue par notre Assemblée contribuera à leur légitimité.

Le débat d’aujourd’hui et celui de demain matin sont très importants. Nous voulons échanger avec toutes les parties concernées. C’est ce que nous devons faire, ici, à l’Assemblée parlementaire. Il faut donc poursuivre le dialogue, y compris avec nos collègues russes. Ne faisons pas obstacle aux tentatives de dialogue politique en vue de trouver une solution à la crise.

Je remercie nos corapporteures et je vous félicite, Madame la Présidente, de votre engagement et de votre visite en Ukraine. Nous suivons la situation depuis le début et, dès novembre 2013, le Conseil de l’Europe a proposé à l’Ukraine de bénéficier de son savoir-faire en matière de démocratisation, d’Etat de droit et de protection des droits de l’homme, en particulier des droits des minorités. Nous félicitons également le Secrétaire Général de son engagement et saluons l’envoi d’un conseiller spécial du Conseil de l’Europe pour accompagner les travaux législatifs et la réforme du ministère de la Justice, ainsi que l’action de la Commission de Venise, qui a délivré des conseils en vue de la réforme constitutionnelle et judiciaire. Nous nous réjouissons enfin de la constitution du panel international chargé d’enquêter sur les violations des droits de l’homme lors des incidents violents survenus à Kiev, qui doit travailler très vite.

La Suisse est préoccupée par l’aggravation du conflit. Nous condamnons les violations constatées par la Commission de Venise. Nous voulons nous montrer impartiaux et privilégier le dialogue avec toutes les parties. Nous nous engageons aussi dans le cadre de l’Organisation pour la coopération et la sécurité en Europe, présidée cette année par la Suisse, et dont nous voulons qu’elle envoie également une mission. Il convient en effet de veiller à une véritable synergie entre les deux organisations, essentielle à une gestion satisfaisante de cette crise.

 

Réexamen, pour des raisons substantielles, des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation russe (Doc. 13483) – Andreas Gross

M. GROSS, porte-parole du Groupe socialiste – Ce qu’ont fait les dirigeants russes est irresponsable. C’est un camouflet pour le Conseil de l’Europe, un mauvais coup porté à son âme même. Les valeurs de l’Organisation ont été foulées aux pieds, sans explication, sans même un prétexte ou une excuse. On ne change pas les frontières de manière unilatérale et par la force. On peut négocier, mais il n’est pas possible de procéder de la sorte. Les Russes sont donc responsables. Il est facile de le dire ; ce qui l’est moins, c’est de savoir ce qu’il convient de faire.

Les instruments qui sont à notre disposition ne vont pas aussi loin que les valeurs que nous défendons. Comme l’a dit un des collègues de mon groupe, quoi que nous fassions, nous ne pouvons que perdre. Nous avons déjà perdu. Expulser la Russie, c’est faire preuve de la même brutalité, c’est se couper la tête. Nous sommes la seule organisation où l’on peut discuter, dialoguer, et apprendre. Si nous ne faisons pas ce que nous devrions faire parce que nous ne le pouvons pas, parce que nous jugeons que ce serait disproportionné par rapport aux blessures que l’on nous inflige, nous perdons toute notre crédibilité. Il n’existe pas de solution simple. Les conséquences n’iront peut-être pas assez loin.

En tant que sociaux-démocrates, nous sommes toutefois conscients qu’il faut donner un signal fort. C’est la raison pour laquelle nous appuierons le rapport visant à suspendre les droits de vote. Mais nous savons bien que c’est loin d’être suffisant. Nous pensons que les collègues russes doivent participer à l’examen des faits, des allégations et des prétentions. Ils doivent participer au dialogue et comprendre que l’action qu’ils ont engagée est irresponsable. Il faut tirer les enseignements du siècle précédent, car, en l’occurrence, on s’écarte d’une approche civilisée des conflits.

En revanche, il ne faut pas les laisser sortir de l’Organisation du Conseil de l’Europe, car, comme je le disais au début de mon intervention, nous sommes la seule organisation qui peut communiquer et dialoguer avec eux, ce qui est la seule solution alternative à la violence. Les sanctionner comme nous le voudrions serait passer à côté de cette occasion. Soyons donc raisonnables, ne nous laissons pas emporter par nos émotions. Il faut suivre les propositions qui nous sont soumises par le rapporteur et, effectivement, nous rendre en Ukraine défendre les intérêts ukrainiens par le biais du dialogue, en allant, dans le même temps, rencontrer les Russes pour discuter avec eux. Ce n’est qu’ainsi que nous leur ferons comprendre que ce qu’ils ont fait est inacceptable.

 

Nécessité de s’occuper d’urgence des nouveaux cas de défaut de coopération avec la Cour européenne des droits de l'homme (Doc. 13435) – Doris Fiala, Luc Recordon

Mme FIALA, porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe* – Au nom de mon groupe, je voudrais vous remercier, Monsieur Sasi, pour votre travail très intéressant et important. Vous avez abordé un sujet très difficile, à savoir les défauts de coopération avec la Cour européenne des droits de l’homme.

Mon groupe est effectivement inquiet. Il constate que certains Etats membres, comme la Russie, mettent en œuvre des pratiques très inquiétantes, notamment la disparition temporaire de requérants. Des pratiques qui ont été condamnées à plusieurs reprises par l’Assemblée parlementaire. Nous condamnons les Etats qui ne respectent pas les décisions de la Cour. Mais plus qu’un problème juridique, c’est un problème politique. Et nous devons continuer de mettre, à chaque fois, les Etats devant leurs responsabilités, en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme, notamment en ce qui concerne leur obligation de coopérer avec la Cour pour faire en sorte que les personnes qui sont sous leur juridiction soient dûment protégées. Les Etats doivent respecter la loi.

Permettez-moi de donner un exemple des défis qui se posent parfois. Il concerne la Suisse et les objecteurs de conscience, ces gens qui ne veulent pas porter les armes mais qui ne peuvent pas obtenir le droit d’asile. Dans certains cas on ne peut pas les renvoyer chez eux – en Erythrée par exemple – sinon ils seraient torturés, voire assassinés. Il s’agit là de cas troublants, mais nous devons respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme et nos principes en matière de droits de l’homme.

Je plaide pour l’adoption du rapport de M. Sasi.

 

M. RECORDON – Je suis largement satisfait du rapport de M. Sasi que je remercie et félicite. Je pense que l’on pourrait aller plus loin, et qu’on devra même à un moment donné aller plus loin. Le rapport indique une première piste au paragraphe 8.1, lorsqu’il est question d’éventuels dommages et intérêts. Lorsque nous avons affaire à des pays qui se font «attraper» pour ne pas avoir exécuté les mesures qu’ils devaient exécuter sur ordre de la Cour, nous pouvons nous contenter en effet d’un rappel à l’ordre. Mais quand il s’agit de récidives, que les rappels à l’ordre ne donnent rien et qu’il s’agit de cas graves où la sûreté personnelle d’une personne est en jeu, il pourrait être envisagé – selon un mécanisme à trouver – que nous ordonnions des mesures sanctionnatrices plus fermes.

Nous pourrions aussi prononcer des mesures contre le pays lui-même, lorsque nous avons affaire à un non-respect de masse des injonctions de la Cour. Ce rapport est excellent, il vient à son heure, mais risque de n’être qu’une étape sur la voie de ce que nous devrons faire pour renforcer l’autorité matérielle informelle et faire appliquer les décisions de la Cour.

J’en profite pour dire que ce n’est pas uniquement dans ce domaine que la question se pose. La mise en œuvre effective, l’efficacité des décisions que prennent les institutions du Conseil de l’Europe, de ces très beaux textes que nous adoptons et qui font parfois ensuite l’objet de conventions internationales, sont fondamentales. Peut-être n’y accordons-nous pas encore tout à fait l’attention ni l’énergie nécessaires. Je ne pense pas que les amendements déposés apportent grand-chose. Le rapport est très bon.

 

La protection des mineurs contre les dérives sectaires (Doc. 13441, Doc. 13467) – André Bugnon

M. BUGNON, rapporteur de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, saisie pour avis – La commission des questions sociales, de la santé et du développement durable soutient dans l’ensemble le rapport préparé par M. Rudy Salles au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme. Ce texte analyse de manière approfondie les réponses normatives et législatives données au niveau européen et national pour protéger les enfants contre les dérives sectaires. Ce faisant, il se penche sur un aspect important de la protection de l’enfance. Néanmoins, il serait souhaitable que le rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, ainsi que la résolution et la recommandation qui en résultent, établissent un lien plus étroit entre les normes européennes et les situations de vie des enfants, et situent la problématique dans un contexte social et politique plus large. Les mesures à prendre pour protéger les enfants pourraient également être légèrement plus détaillées.

Comme vient de l’expliquer le rapporteur, il s’agit ici de défendre l’intérêt supérieur de l’enfant et non de mettre en cause la liberté de conscience et de religion, laquelle fait partie des valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe. Néanmoins, force est de constater qu’un certain nombre de groupes connaissent des dérives. Afin de mieux protéger les mineurs, la commission des questions sociales vous propose un certain nombre d’amendements que nous examinerons tout à l’heure.

 

M. BUGNON, rapporteur pour avis – Vous l’avez entendu dans le débat, les termes « mineur » et « enfant » sont souvent utilisés. Le paragraphe 1 fait référence à des textes de résolution qui ont déjà été adoptés, il est donc important ici que l’on cadre l’utilisation de ces deux termes. Selon la Convention des Nations Unies, le terme «enfant» s’applique à tout être humain de moins de 18 ans. Pour être clair avec les autres conventions, je vous propose donc d’employer le terme «enfant» plutôt que «mineur».

 

M. BUGNON, rapporteur pour avis – Cet amendement a été voté à l’unanimité par la commission des questions juridiques, mais il a été contesté par Lord Anderson parce qu’il parle de «dérives sectaires». Il faut appeler un chat un chat ! La liberté religieuse n’est pas remise en question, mais un certain nombre de mouvements religieux sont des sectes, nous faisons donc référence à des «dérives sectaires».

 

Les réfugiés et le droit au travail (Doc. 13462) – Andreas Gross

M. GROSS, porte-parole du Groupe socialiste – Je remercie M. Chope pour son rapport. La Suisse a, à son tour, tiré les enseignements nécessaires. C’est ainsi que les réfugiés et les demandeurs d’asile peuvent travailler en Suisse – à tout le moins, les modalités ont été assouplies. Nous avons compris qu’il était une bonne chose que les réfugiés et les demandeurs d’asile puissent travailler, le travail étant la meilleure garantie de l’intégration.

Mais, Monsieur Chope, je vais vous compliquer un peu la vie ! Hier, dans cette même enceinte, vous avez proposé des amendements au rapport de notre ami belge, M. Deseyn. Dans ce rapport, des éléments sont susceptibles d’expliquer pourquoi le rapport présenté aujourd’hui aura des difficultés à obtenir une majorité. Car l’une des thèses développait l’idée selon laquelle il ne fallait pas rendre nos pays trop séduisants, faute de quoi nous assisterions à un afflux exagéré de migrants. Une telle thèse est erronée, mais elle est populaire en Suisse. C’est pourquoi il faut prendre garde à ne pas la propager. Certes, on peut comprendre que les Français, les Suisses, les Britanniques craignent pour leurs propres emplois et qu’ils ne soient pas favorables au droit au travail des réfugiés et des demandeurs d’asile. Monsieur Chope, hier soir, vous avez déposé des amendements niant les craintes des autochtones face au risque du chômage, qui, heureusement, ont été rejetés.

En allemand, on dit « Il faut que chacun trouve un emploi qui lui permette de bien vivre. ». Malheureusement, un certain nombre de partis utilisent ce prétexte pour empêcher la mise en œuvre des mesures que vous préconisez dans votre rapport sur le travail des réfugiés et des migrants. Selon moi, il conviendrait de prendre en compte les deux rapports, celui d’hier et celui d’aujourd’hui.

Ce n’est qu’à la condition d’offrir une sécurité de l’emploi aux Allemands, aux Français, aux Catalans, aux Espagnols, aux Suisses, aux Britanniques, qu’ils accepteront le droit au travail des migrants.

Ce n’est que si les autochtones sont convaincus que demain ils auront un bon emploi qu’ils se montreront solidaires et ouverts à l’accueil des étrangers et à leur droit au travail. Vous savez bien qu’il est difficile de se montrer solidaire d’autrui si soi-même on est dans la difficulté. Je vous demande donc de faire un peu votre autocritique : n’y a-t-il pas une certaine contradiction entre votre vote d’hier soir et ce que vous nous proposez ce matin? Ne craignez-vous pas que ce vous avez défendu hier nous empêche de trouver une majorité ce matin en faveur des mesures que vous préconisez?