L’Assemblée fédérale arbitre les conflits de compétences entre les autorités fédérales suprêmes.

Un conflit de compétences apparaît lorsque le Conseil fédéral et le Tribunal fédéral nient (conflit négatif de compétences) ou affirment (conflit positif de compétences) qu’un litige relève de leur compétence.

C’est à l’Assemblée fédérale (Chambres réunies) – soit l’assemblée que forment les deux conseils réunis dans la salle du Conseil national – qu’il incombe de statuer sur les conflits de compétences (art. 173, al. 1, let. i, Cst. ; art. 157, al. 1, let. b, Cst.).

La décision est préalablement examinée par la Commission des grâces et des conflits de compétences (art. 40, al. 1, LParl).

Elle est prise sous la forme d’un arrêté fédéral simple.

Aspects historiques

En règle générale, le Conseil fédéral et le Tribunal fédéral parviennent à se mettre d’accord ; l’Assemblée fédérale (Chambres réunies) n’a jusqu’à présent que rarement eu à statuer sur un conflit de compétences. Depuis 1985, on a parlé de conflit de compétences uniquement dans les trois cas suivants :

Plébiscite jurassien

En novembre 1985, le gouvernement du canton du Jura exige du Conseil fédéral qu’il annule certains résultats des scrutins populaires ayant conduit à la création du canton du Jura et qu’il organise de nouveaux scrutins. Le Conseil fédéral se récuse et transmet l’objet au Tribunal fédéral, qui est, selon lui, compétent en la matière. À la suite de cette décision, le Gouvernement jurassien dépose une demande de réexamen auprès du Conseil fédéral, qui la rejette. Finalement, le Gouvernement jurassien dépose un recours hiérarchique auprès de l’Assemblée fédérale en lui demandant de charger le Conseil fédéral de traiter sa requête de novembre 1985 sur le fond. L’Assemblée fédérale décide toutefois de ne pas donner suite au recours hiérarchique du canton du Jura, notamment parce qu’il n’existe aucun conflit de compétences entre le Tribunal fédéral et le Conseil fédéral. Le Tribunal fédéral a finalement repris la procédure.

L’affaire des crucifix

En 1988, un recours est déposé auprès de l’Assemblée fédérale (conformément à l’art. 79 de la loi fédérale sur la procédure administrative en vigueur à l'époque) contre la décision du Conseil fédéral du 29 juin 1988 relative à la pose de crucifix dans les salles de classe de la commune de Cadro. Bien qu’il n’existe aucun conflit de compétences entre le Tribunal fédéral et le Conseil fédéral, l’Assemblée fédérale décide d’annuler la décision du Conseil fédéral et de transmettre le cas au Tribunal fédéral.

Réforme de l’imposition des entreprises II

Le 24 février 2008, les citoyens acceptent la loi sur la deuxième réforme de l’imposition des entreprises par 938 744 voix contre 918 990, avec un taux de participation de 38,62%. Début mars 2011, on apprend que de nombreuses entreprises ont décidé de tirer parti des possibilités offertes par cette réforme, ce qui entraînera d’importantes pertes fiscales. À la suite de cette constatation, la conseillère nationale Margret Kiener Nellen dépose un recours en matière de votation auprès du Conseil-exécutif du canton de Berne et le conseiller national Daniel Jositsch fait de même auprès du Conseil d’État du canton de Zurich. Les recourants font valoir en particulier que les informations contenues dans le message du Conseil fédéral et dans la brochure explicative étaient incomplètes et qu'elles avaient ainsi été susceptibles d'induire les citoyens en erreur.

Le 30 mars 2011, le Conseil-exécutif du canton de Berne décide de ne pas entrer en matière sur le recours déposé par Margret Kiener Nellen ; le 6 avril 2011, le Conseil d’État du canton de Zurich prend la même décision concernant le recours déposé par Daniel Jositsch. Tous deux transmettent alors les recours au Conseil fédéral pour qu’il les traite en tant que demandes de réexamen de la décision de validation qu’il a prise le 10 avril 2008. Suivant les voies de droit, Margret Kiener Nellen dépose un recours en matière de votation le 11 avril 2011 auprès du Tribunal fédéral ; Daniel Jositsch l’imite le 15 avril 2011. Le 12 mai 2011, le Tribunal fédéral prie le Conseil fédéral de prendre position.

Dans son avis du 10 juin 2011, le Conseil fédéral demande au Tribunal fédéral de ne pas entrer en matière sur ces recours. En effet, selon lui, le Tribunal fédéral n’est pas compétent pour examiner la décision de validation du Conseil fédéral ou une décision de révision s’y rapportant, en vertu de l’art. 189, al. 4, de la Constitution fédérale et de l’art. 88, al. 1, let. b, de la loi sur le Tribunal fédéral. Dans son courrier du 22 juillet 2011, le Tribunal fédéral indique au Conseil fédéral qu’il examinera les recours sur le plan formel et éventuellement sur le plan matériel. Le 29 juin 2011, le Conseil fédéral décide de ne pas entrer en matière sur la requête de Margret Kiener Nellen, qui lui avait été transmise par le Gouvernement bernois. Il estime en effet que les conditions nécessaires à une révision ou à un réexamen de sa décision de validation ne sont pas remplies. Dans son avis complémentaire adressé au Tribunal fédéral le 24 août 2011, le Conseil fédéral maintient son avis du 10 juin 2011, selon lequel il estime que le Tribunal fédéral n’est pas compétent pour examiner a posteriori les actes édictés par l’Assemblée fédérale et le Conseil fédéral. Il indique également que, si le Tribunal fédéral n’est pas de cet avis, il doit soumettre le conflit de compétences à l’Assemblée fédérale pour que celle-ci tranche le litige. Estimant qu’il n’y avait aucun conflit de compétences, le Tribunal fédéral est entré en matière sur les recours, mais les a finalement rejetés pour des raisons relevant de la sécurité du droit et de la protection de la bonne foi.

Sources

  • Jean-Francois Aubert, Art. 173, in : Aubert/Mahon, Petit commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, Zürich 2003.
  • Giovanni Biaggini, Art. 173 N 27, in : Giovanni Biaggini, Bundesverfassung der Schweizerischen Eidgenossenschaft, Kommentar, Orell Füssli Verlag AG 2017.