​La version orale fait foi

 

Messieurs les présidents des Chambres fédérales,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Madame et Messieurs les membres du gouvernement valaisan,
Madame la directrice de l'Office fédéral de la culture,
Mesdames et Messieurs les responsables cantonaux de la culture,
Madame la directrice de l'Ecole professionnelle des arts contemporains,
Mesdames et Messieurs les représentants du Dictionnaire historique de la Suisse, de la Bibliothèque nationale et des archives fédérales
Chers artistes et chers musiciens,
Chers collaborateurs des Services du Parlement,
Chers apprentis,
Mesdames et Messieurs les invités,

 

En cet an de grâce 2015, les cantons du Valais, de Genève et de Neuchâtel fêtent le bicentenaire de leur entrée dans la Confédération. Deux cents ans, c'est beaucoup, mais aujourd'hui, nous allons remonter le fil siècles encore bien plus loin, jusqu'à des temps immémoriaux. Nous allons suivre notre guide Zéphyrine Tinguely, l’héroïne du grimoire «Le Parlement fantastique», «Das fantastische Parlament», «Il Parlamento fantastico», «The Fantastic Parliament».

En ce temps-là, le «souffle originel»1 balayait la Terre du Milieu2 où ne vivaient pas des Hobbits mais trois bons géants. Ils ne savaient pas encore qu’ils finiraient pétrifiés au cœur du Palais du Parlement.

En ce temps-là, nombreux étaient les nobles avides de conquêtes qui voulaient s'emparer de la petite Terre du Milieu, par où passaient hommes et marchandises pour traverser les Alpes. Résister était alors l'ordinaire des Suisses, et même plus, une question de survie. Rebelles, ils ne faisaient pas de quartiers et avaient des habitudes pour le moins rudes malgré le Convenant de Sempach (1393) qui leur interdisait de se livrer au pillage … du moins avant que les chefs en eussent donné le signal. A l’époque déjà, les Suisses avaient le sens de la discipline.

Un peu plus tard, Thomas More appellera les Suisses «Zapolètes». Il les présentera sous les traits de barbares cupides, habitant la contrée appelée «Vénalie», à 500 000 pas3 à l'Est de l’île d'Utopie. «Vénalie» : le terme est déjà un programme. François Rabelais, contemporain de Thomas More, raconte que, de son temps, lorsque les Genevois se saluaient, ils se souhaitaient : «Bon gain !» Cela préfigurait-il des événements récents qui ont touché notre pays ? N’ayez crainte : Rabelais appelait Genevois les habitants de Gênes et non ceux de la ville du bout du lac Léman… : l’honneur est sauf.

En ce temps-là, dans l'Ancien Monde, les habitants de la Terre du Milieu devaient choisir : rester bien tranquilles à l'intérieur de leurs frontières ou agrandir le territoire et repousser le danger le plus loin possible des centres vitaux pour l'économie. Ces choix créèrent désarroi, désordres et disputes.

L’intervention du vieil Ermite Nicolas de Flue, qui me fait face, apaisera les mœurs des Suisses et bornera leur ambition, comme Zéphyrine l'apprendra dans le précieux carnet, intitulé «Le Parlement fantastique», que lui a légué son aïeul. Dès lors, la concorde, le consensus, le compromis deviendront des composantes essentielles de la politique dans notre pays. Cette «quête d’équilibre» est notre philosophie nationale. Elle est si profondément inscrite dans nos gènes d'Helvètes qu’elle est devenue une seconde nature. En Suisse, les comportements s’ajustent avant d’être justes…

«Les quatre lansquenets»4 qui nous entourent et représentent les quatre régions linguistiques de la Suisse attestent de cette attitude propice à la conciliation. Ils sont les dignes successeurs de ces «quatre géants de l’histoire européenne», que Victor Hugo plaçait aux quatre points cardinaux de notre pays : « Annibal dans les Alpes allobroges, Charlemagne dans les Alpes lombardes, César dans l'Engadine et Napoléon dans le Saint-Bernard... ».

Chaussons maintenant nos bottes de sept lieues pour faire un grand saut jusqu'au milieu du XIXe siècle : la «sagesse antique»5 «Unus pro omnibus, omnes pro uno» – inscrite en lettres lumineuses au-dessus de nos têtes selon le vœu du grand architecte6 – est alors redécouverte par les fondateurs de l'Etat moderne. Le vieil Ermite peut être fier : son message a traversé les siècles, passant de génération en génération. Il a été entendu et a inspiré les créateurs de l'Etat fédéral forgeant un esprit tout de mesure et d’équilibre.

La magie – je parlerai même d’alchimie – du système suisse réside dans cette capacité à transcender les intérêts particuliers pour élaborer un projet collectif dans lequel chacun puisse se retrouver.

Le secrétaire du Parlement est étymologiquement le gardien des secrets. Je vais toutefois vous en confier un : la nuit venue, le zéphyr de Zéphyrine donne vie à nos bons géants et à tous les autres personnages figés dans le granit ou le marbre, Winkelried, Nicolas de Flue et Guillaume Tell. Les Trois Confédérés ne font pas que décorer le monumental Palais du Parlement : ils l'habitent, ils y sont présents, ils l’inspirent. Lorsque les débats deviennent décousus, voire chaotiques, lorsque les parlementaires s’adonnent aux escarmouches picrocholines ou au manœuvres d’obstruction, nos trois géants se dressent là, placides et apaisants. Ils apportent la cohérence du roc lorsque de temps à autre la bâtisse se met à ressembler à une machine de Tinguely, lorsque les mécanismes parlementaires frisent l’extravagance, lorsque le fonctionnement des Chambres menace de nous échapper et l’ordre du jour de se déglinguer.

Mesdames et Messieurs,

Winkelried, Guillaume Tell, Nicolas de Flue : l’histoire semble longtemps avoir été écrite par les hommes et pour les hommes. En particulier, celle des guerres et des batailles qui, plus encore que d’autres périodes, a la fâcheuse tendance à confiner les femmes et les enfants dans les silences de l’histoire. 

C’est pourquoi je suis très heureux que ce soit une jeune fille, Zéphyrine, qui nous conduit à travers l’histoire du pays. Grâce à elle, nous allons désormais voir avec d'autres yeux le bâtiment dans lequel nous œuvrons quotidiennement. J’ai laissé ce personnage sympathique me prendre par la main et je veux complimenter chaleureusement toutes celles et tous ceux – jeunes créatrices et créateurs pour la plupart – qui ont contribué à la réalisation de la magnifique brochure qui nous permet d’être ensemble aujourd’hui. 

Loin des visions désincarnées de l’histoire, cet ouvrage propose une aventure pleine de surprises et de rebondissements, faite de mille ans de mémoire, de contes et de légendes. Vous y ferez la rencontre de figures fantastiques, de personnages attachants et d’esprits vengeurs. Cette histoire mouvementée est notre histoire.


Laissez-vous porter par l’imagination des auteurs. A l’instar de Shéhérazade, Zéphyrine vous invite aux vagabondages et à la rêverie : «Entrez ici dans le Parlement fantastique!».


 


1 Titre d'un chapitre du «Parlement fantastique».
2 Allusion au «Seigneur des anneaux».
3 Soit environ 800 kilomètres.
4 Titre d'un chapitre du «Parlement fantastique».
5 Titre d'un chapitre du «Parlement fantastique».
6 Personnage et chapitre du «Parlement fantastique».