Rapport des Commissions de gestion des Chambres fédérales

De mars 2009 à fin mai 2010, un groupe de travail constitué de six membres de chacune des Commissions de gestion des Chambres fédérales a analysé en profondeur le comportement des autorités fédérales et de la Banque nationale face à la crise financière internationale et à la transmission aux Etats-Unis de données bancaires de clients de l’UBS. Il a livré son rapport final aux commissions de gestion qui l’ont adopté le 30 mai 2010. Ce dossier de presse résume les résultats centraux du rapport, ses conclusions ainsi que les mesures préconisées par les commissions de gestion (CdG).   

  

Incapacité à détecter la crise, pratique de surveillance à modifier

La crise du marché financier et la problématique des données bancaires des clients de l’UBS se sont développés hors de la sphère d’influence des autorités fédérales. L’UBS et des autorités américaines ont joué les premiers rôles. Ces événements extérieurs ont montré l’importance d’un système de détection précoce et de surveillance efficace. Les commissions de gestion ont constaté de graves lacunes dans ce domaine.


En marge de la crise financière d’ampleur mondiale qui a frappé de plein fouet les grandes banques suisses, il y a eu les fautes commises par l’UBS et certains de ses collaborateurs et la réaction des Etats-Unis exigeant la livraison des données des clients américains de l’UBS, au mépris de la législation suisse. Les CdG n’ont pas de mots assez forts pour condamner ces deux comportements.
Comme de nombreux pays, la Suisse n’a pas vu venir la crise et n’a pas pris assez tôt les mesures préventives adéquates. La véritable portée de la livraison des données bancaires de clients américains de l’UBS n’a été perçue que tardivement. Pour limiter les risques liés aux facteurs extérieurs, le système de détection précoce doit mieux fonctionner et les entreprises jouant un rôle systémique faire l’objet d’une surveillance complète.
En raison de la forte dépendance de la Suisse à des entreprises de la taille de l’UBS, un système d’alarme opérationnel est indispensable. D’autant que la surveillance des institutions bancaires - qui s’est exercée correctement –  est largement tributaire des données livrées par les banques elles-mêmes.
Le comportement de la direction de l’UBS n’était pas l’objet des investigations des CdG, mais au vu des retombées de l’affaire des données de clients de l’UBS, la FINMA devrait encore clarifier certaines zones d’ombre. De l’avis des CdG, les organes suprêmes de l’UBS ne peuvent être considérés comme blanchis par l’enquête menée par la Commission fédérale des banques.

 

 

Recommandations: 

·        Les CdG invitent la FINMA, en raison de la portée de cette affaire, à éclaircir en profondeur la question de savoir dans quelle mesure les plus hauts dirigeants d’UBS avaient connaissance des infractions au QIA commises par la banque et ses collaborateurs. (Recommandation 10)

·        Les CdG invitent le Conseil fédéral à évaluer et à proposer – d’entente avec la FINMA et la BNS – les changements législatifs adéquats permettant d’une part de fixer des objectifs pertinents et précis aux autorités chargées de la surveillance des marchés financiers ou de la stabilité financière de la Suisse et d’autre part, de leur confier les compétences nécessaires à l’atteinte des objectifs. (Recommandation 2)

·        Les CdG invitent le Conseil fédéral à évaluer les mesures prises par la FINMA pour améliorer ses instruments de surveillance et sa pratique et de présenter un rapport d’ici mi-2012. (Recommandation 3)

·        Les CdG invitent le Conseil fédéral à prendre – d’entente avec la FINMA et la BNS – les mesures nécessaires pour réduire au maximum les risques liés au groupthink. (Recommandation 4)

·        Les CdG invitent le Conseil fédéral à prendre les mesures nécessaires à la clarification du rôle et des compétences des différentes autorités, ainsi qu’à la transparence et à l’optimisation des processus de décision. Pour ce faire, la BNS et la FINMA sont étroitement impliquées dans l’élaboration de propositions et de mesures. Ces améliorations doivent permettre une collaboration optimale entre la B NS, la FINMA et le DFF. (Recommandation 5)

·        Les CdG invitent le Conseil fédéral à vérifier d’ici 1 an l’adéquation des processus et de la nouvelle organisation de la FINMA de manière à ce qu’ils permettent une communication de qualité entre ses services et un échange d’informations. (Recommandation 6)


 

Les autorités fédérales et la banque nationale ont bien géré la crise.
 
Les autorités fédérales - la CFB/FINMA, la Banque nationale, l’Administration des finances, l’ambassade à Washington et les autres instances fédérales impliquées -ont travaillé avec professionnalisme et ont contribué de manière déterminante à la maîtrise de la crise financière et de la problématique des données bancaires. Des améliorations peuvent cependant être apportées à l’organisation de crise.


Les CdG constatent que les autorités fédérales ont reconnu les risques potentiels et pris des mesures préparatoires. Les organisations internationales et les experts ont d’ailleurs relevé le professionnalisme du travail effectué en Suisse.
Les CdG regrettent en revanche que le Conseil fédéral n’ait pas de prérogatives spécifiques dans l’organisation et la gestion de crise et que rien ne soit prévu pour lui assurer une marge de manœuvre. La circulation de l’information a parfois été entravée et certains renseignements et données n’ont pas pu être utilisés à bon escient.


Motion: 

·        Le Conseil fédéral est chargé d’inviter régulièrement le président du conseil d’administration de la FINMA à un entretien. Sur la demande du conseil d’administration de la FINMA, d’autres entretiens peuvent aussi avoir lieu entre le président du conseil d’administration de la FINMA et la délégation du Conseil fédéral aux affaires économiques. (Motion 1)

 

Recommandations: 

·        Les CdG invitent le Conseil fédéral à définir son rôle et son implication dans toute organisation de crise. Pour ce faire, le Conseil fédéral définit à partir de quand et comment, il doit être informé et impliqué activement dans la gestion et le suivi d’une crise.(Recommandation 1)

·        Le Conseil fédéral rencontre régulièrement la Direction de la BNS et prend les mesures nécessaires pour que la BNS ait un accès privilégié au Collège quand elle le juge nécessaire. (Recommandation 12)

·        Les CdG invitent le Conseil fédéral à faire en sorte que, pour le suivi de dossiers importants – en particulier s’ils touchent différents départements –, le secrétariat général du département concerné participe de manière appropriée aux flux d’informations afin de pouvoir assumer sa fonction d’état-major du département et d u chef de département. (Recommandation 13)

·        Les CdG invitent le Conseil fédéral à demander systématiquement, lorsqu’il est appelé à se pencher sur d’importantes questions juridiques, une analyse approfondie et une appréciation à l’OFJ. (Recommandation 14)


 

Pilotage gouvernemental déficient
 
Dans leur rapport, les CdG constatent que le Conseil fédéral dans son ensemble n’a pas pu conduire la gestion de crise, faute d’avoir été impliqué à temps dans la prise de décision ou correctement informé. Le collège gouvernemental doit pouvoir travailler dans un climat de confiance. Pour cela, la confidentialité des délibérations doit être mieux garantie et la collaboration entre les chefs de départements plus directe.


D’avril 2008 à septembre 2008, le Conseil fédéral ne s’est pas occupé de la crise financière. Durant cinq mois, le chef du Département fédéral des finances a géré seul la crise. Ni le collège gouvernemental, ni sa délégation aux affaires économiques n’ont été impliqués durant cette période. Le Conseil fédéral était empêché de remplir son rôle de direction, n’ayant aucun moyen de travailler en équipe. Il n’a en outre pas développé lui-même d’option propre pour gérer la crise.
Pour les CdG, la compréhension erronée que le Conseil fédéral a de son fonctionnement l’a empêché de jouer son rôle à temps et pleinement. Le cloisonnement exacerbé entre les départements risque à terme de vider le principe de collégialité de toute signification.
De plus, durant trois mois, soit de fin septembre à la fin de l’année, aucun procès verbal des discussions sur l’affaire de l’UBS n’a été dressé lors des séances du Conseil fédéral. L’absence de traces écrites a non seulement nui à la mise en oeuvre des décisions prises mais également à l’information des membres du collège. On ne peut alléguer le risque d’indiscrétion, estiment les CdG. Le Conseil fédéral doit en effet pouvoir traiter d’informations confidentielles et se prononcer sur des sujets délicats.
Le grave problème de santé du chef du DFF lors de la phase critique de la crise de l’UBS a également mis en lumière les faiblesses du système de remplacement au sein du collège gouvernemental. La suppléante du chef du DFF a dû assurer l’intérim au pied levé, sans avoir été impliquée préalablement dans les difficiles et lourds dossiers du DFF.
De retour aux affaires, le chef du DFF n’a en outre pas jugé nécessaire de procéder à une transmission en bonne et due forme des dossiers.

 

Motions: 

·        Le Conseil fédéral est chargé de présenter une révision de la LOGA, pour y inscrire l’obligation intégrale de la forme écrite pour toutes ses délibérations et décisions. La forme écrite doit être appliquée également pour les affaires secrètes et pour les simples informations orales. Les procès-verbaux du Conseil fédéral doivent pouvoir être utilisés comme instruments de conduite et garantir l’intelligibilité subséquente des délibérations et des décisions du Conseil fédéral. (Motion 2)

·        Le Conseil fédéral est chargé de réglementer dans la LOGA l’instrument des délégations à trois personnes, afin que dans toutes les affaires importantes et supradépartementales ces délégations promeuvent un équilibre entre le principe de la collégialité et le principe départemental et améliorent ainsi les bases de décision du Conseil fédéral. (Motion 3)

·        Le Conseil fédéral est chargé, dans le cadre de la réforme du gouvernement en cours, de décider respectivement de proposer des mesures concrètes afin qu’il puisse assumer une conduite effective des affaires importantes, qui soit en accord avec sa responsabilité globale en tant qu’autorité collégiale et exécutive suprême. (Motion 4)

 

Recommandations: 

·        Les CdG invitent le Conseil à adopter un pilotage politique stratégique, basé sur les précédentes recommandations des CdG en lien avec l’affaire Tinner, la nomination de Roland Nef, etc.). (Recommandation 8)

·        Les CdG invitent le Conseil fédéral à mettre sur pied, à son niveau, un système de veille et de détection précoce efficace concernant les crises. (Recommandation 9)

·        Le Conseil fédéral se dote des ressources et des moyens nécessaires pour disposer rapidement de procès-verbaux appropriés ainsi que d’un contrôle suffisant des affaires. (Recommandation 15)

·        Le Conseil fédéral adapte son système de suppléance aux exigences des tâches gouvernementales modernes. Il examine à cet égard la nécessité et l’opportunité d’impliquer régulièrement la suppléante ou le suppléant dans les activités ordinaires de chaque département. (Recommandation 16)

·        Les CdG invitent les commissions législatives compétentes, dans le cadre de leurs délibérations relatives au projet de réforme du gouvernement, à accorder une importance particulière aux mesures visant à une conduite par le collège du Conseil fédéral des dossiers importants, qui soit effective et en accord avec sa responsabilité globale en tant qu’autorité collégiale et exécutive suprême. (Recommandation 17)

·        Les CdG invitent le Conseil fédéral à faire recenser par la Chancellerie fédérale tous les mandats confiés à ses membres et à implémenter un controlling à l’intention du collège gouvernemental. (Recommandation 18)

 

Une loi pour éviter des crises d’une telle ampleur
 
Il faut tout mettre en œuvre pour éviter que des crises comme celle déclenchée par l’affaire de l’UBS ne se reproduise à l’avenir. Au terme de l’inspection menée par les CdG, il apparaît que les risques systémiques que font courir les entreprises trop grandes pour être mise en faillite „too big to fail“ doivent être limités par le biais de la loi. Cela en vue d’éviter, autant que faire se peut, l’intervention de l’Etat en faveur d’institutions privées.


Les nombreuses interventions parlementaires en Suisse et le débat à l’échelon international enjoignent de tirer les leçons de cette crise. Il est urgent de réviser la législation, au vu de l’étroite dépendance où se trouve la Suisse face aux grandes entreprises privées. La question de la surveillance et de la stabilité des banques de taille systémique a été reconnue. Le Conseil fédéral a montré la voie en ce domaine: les réformes nécessaires ne peuvent être reportées.
Les CdG ont également pris connaissance avec étonnement que le Conseil d’administration de l’UBS a recommandé lors de l’assemblée générale 2010 de lui donner décharge ainsi qu’à la Direction générale de l’institution bancaire pour les années 2007 et 2008. Il s’agit d’examiner les mesures à prendre en matière de poursuites pénales.
 

Motion:

·        Le Conseil fédéral est chargé de réviser les art. 164 et 165 CP, afin d’étendre le champ de leur application aux grandes entreprises qui, en raison de leur importance systémique pour l’économie du pays et la stabilité financière, doivent être préservées de la faillite par des interventions de l’État. (Motion 5)

 

Postulats:

·        Le Conseil fédéral est mandaté d’analyser le rôle des entreprises de révision tel qu’il est défini par la législation suisse lorsqu’elles contrôlent les grandes banques et de rendre compte des mesures légales ou autres qu’il serait possible de prendre afin de renforcer leur rôle en faveur de la surveillance des banques. (Postulat 1)

·        Le Conseil fédéral est chargé d’examiner de manière approfondie, dans un rapport détaillé, les questions soulevées par le rapport des CdG à propos de l’application de l’art. 271 CP et de la compatibilité du QIA avec le secret bancaire suisse. (Postulat 2)

 

Recommandations: 

·        Les CdG invitent le Conseil fédéral à étudier de manière exhaustive l’ensemble des recommandations émises par les experts Geiger et Green qu’il a lui-même mandatés et qu’il rapporte d’ici fin 2010 sur le traitement qu’il leur réserve. (Recommandation 7).

·        Les CdG invitent les commissions législatives compétentes à analyser les dispositions légales régissant la décharge donnée par une assemblée générale dans le secteur bancaire. (Recommandation 11)

 

Les CdG rappellent l’UBS à ses devoirs

La haute surveillance parlementaire porte sur l’action de l’administration. Sans outrepasser leurs compétences, les CdG ont néanmoins constaté qu’il existait, dans l’opinion publique, un besoin important de transparence concernant les activités internes de la banque et les responsabilités.

 

Les CdG demandent dès lors au Conseil fédéral ainsi qu’à l’UBS de revoir en profondeur les activités internes de la banque en lien avec la crise des subprimes et les affaires transfrontalières de la banque aux Etats-Unis. Pour les CdG, il est absolument crucial que ces examens soient menés de manière complètement indépendante, par exemple par un groupe d’experts neutres.

 

Recommandation: 

·        La manière dont UBS - notamment le conseil d’administration, la direction du groupe et la société de révision - a géré à l’interne la crise des subprimes et les affaires transfrontalières de la banque aux Etats-Unis doit être revue en profondeur (opportunité du dépôt par UBS d’une plainte pénale et d’une action en responsabilité, mise à l’ordre du jour de la décharge pour les années 2007 à 2009 lors de l’assemblée générale d’UBS le 15 avril 2010, conventions de départ des cadres moyens et supérieurs, etc.) (Recommandation 19)

·        Le Conseil fédéral ainsi que l’UBS doivent veiller à créer les conditions pour que toute la transparence soit faite sur la décision du Conseil d’administration d’UBS de ne pas entamer de procédures pénales et civiles contre les anciens cadres d’UBS. (Recommandation 19)

·        La Confédération, respectivement ses organes ayant une personnalité juridique propre, soient en mesure - en tant qu’actionnaires d’UBS ou en tant que groupes d’actionnaires - d’entreprendre des procédures pénales et/ou civiles (actions en responsabilité) contre les membres responsables du Conseil d’administration, les membres responsables de la direction générale et le cas échéant contre la société de révision. A cette fin, la Confédération porte les risques liés au procès et garantit la prise en charge des frais de procédure (frais du tribunal et des avocats) (Recommandation 19)

·        Les résultats et conclusions essentiels de ces travaux doivent être rendus publics. (Recommandation 19

 

 

Berne, le 31 mai 2010  Services du Parlement