La version orale fait foi

Madame Agnes Hirschi, Madame Germaine Goldberg, Monsieur Mark Varshavsky

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs

Mesdames et Messieurs,

Nous sommes réunis ce soir pour honorer la mémoire des millions de victimes de l’Holocauste. En préambule, j’aimerais au nom de l’Assemblée fédérale exprimer toute ma compassion à ceux qui ont succombé, à leurs proches, et en particulier à vous, Madame Hirschi, Madame Goldberg, Monsieur Varshavsky, ainsi qu’à tous les rescapés marqués par ces années noires.

Le 27 janvier n’a pas été adopté au hasard pour cette journée du souvenir. Le camp nazi d’Auschwitz-Birkenau a été libéré à cette date, en 1945. La présidente de la Confédération participe aujourd’hui aux cérémonies officielles, en compagnie d’étudiants ; ils ont pu rencontrer des rescapés. Cette démarche illustre l’importance du devoir de transmission, la nécessité que chaque génération sache ce qu’a été l’Holocauste, comment il a été rendu possible, et quelles en furent les terribles conséquences. Dans quelques années, les rescapés auront tous disparu et plus personne ne portera ce cauchemar sur sa chair ; le souvenir ne vivra plus que dans des archives. Cette journée en est d’autant plus importante.

Mesdames et Messieurs,

Aujourd’hui, nous rappelons le souvenir d’années pleines d’infamie, de meurtre et d’horreur. Nous réveillons l’image des files de victimes décharnées, des exécutions sommaires et des charniers, des chambres à gaz. Nous nous souvenons d’un système politique et social qui a voulu mettre à mort ceux qui étaient jugés inférieurs : les Juifs, mais aussi les Roms, Sintis, et Yéniches, les personnes handicapées, les homosexuels,... Des millions de personnes. Nous sommes réunis pour rappeler cette nuit tombée sur l’Europe. Nous ne voulons pas oublier. Nous ne devons pas oublier, parce que cette nuit n’est jamais très loin. En chacun de nous, il y a une voix qui se tait alors qu’il faudrait crier, des yeux qui se baissent alors qu’il faudrait regarder. Voilà pourquoi, avec le souvenir de l’Holocauste, j’aimerais rappeler celui de Carl Lutz.

Carl Lutz était un diplomate suisse. Il a fait ses armes à Washington d’abord, puis a été envoyé à Jaffa. À ce poste, il représente également les intérêts des citoyens allemands de la région, et le fait à leur grande satisfaction – cela lui sera très utile par la suite. En 1942, alors que la guerre bat son plein et que les nazis dominent l’Europe, il devient vice-consul à la légation suisse à Budapest. Il y représente les intérêts d’une douzaine d’Etats en guerre ; il collabore avec l’Agence juive en délivrant des lettres de protection à des enfants et adolescents juifs qui peuvent immigrer en Palestine.

Pendant ce temps, la guerre continue… Les armées allemandes perdent à Stalingrad, les Soviétiques entament leur avancée vers l’Ouest. Les Allemands craignent que leur allié hongrois ne les trahisse et ne signe un armistice avec Staline ; ils envahissent la Hongrie. On est en mars 1944 ; les déportations commencent peu après pour les Juifs de Hongrie, jusque-là relativement épargnés.

A ce moment-là, Carl Lutz se retrouve avec 7800 lettres de protection disponibles. Il décide d’interpréter ce chiffre comme unité et chaque unité comme une famille. Le nombre de personnes sous protection de la Suisse se voit ainsi multiplié par quatre ou cinq. Puis, parce que cela ne suffit pas, Carl Lutz multiplie les lettres numérotées de 1 à 7800. 

Sa volonté de sauver les Juifs devient un système : il collabore avec des délégués du CICR, des diplomates suisses et étrangers, des personnalités juives et des résistants sionistes. Il use de son crédit auprès des Hongrois et des Allemands pour étendre l'immunité diplomatique à plus de 76 bâtiments de la capitale hongroise. 20 000 Juifs y trouvent refuge.

Epaulé par plusieurs employés de la légation suisse à Budapest, comme Harald Feller, sa femme Gertrud Lutz-Fankhauser, Ernst Vonrufs et Peter Zürcher, Carl Lutz fait preuve d'une détermination sans faille. Il le fait sans le soutien de sa hiérarchie, usant de son expérience et de son crédit.

Mesdames et Messieurs,

Carl Lutz a œuvré de toutes ses forces pour sauver des vies ; il l’a fait de sa propre initiative, ne reculant devant aucune démarche, prenant souvent des risques. En mémoire de son courage, une salle de réunion du Département fédéral des affaires étrangères porte désormais son nom. Il sera possible de la visiter le 20 mars 2020, lors de la Nuit des musées. Cette année, nous fêtons le 125ème anniversaire de la naissance de ce diplomate hors normes. Nous avons la chance d’accueillir ce soir parmi nous sa fille adoptive, qu’il a sauvée, comme tant d’autres, d’une mort certaine.

Chère Agnes Hirschi,

Votre présence parmi nous est l’incarnation vivante du courage de votre père. Son action éclaire aussi notre route, ici, maintenant. Il y a des moments où il faut savoir faire résistance. Encore aujourd'hui, l'actualité qui secoue le monde nous demande de choisir entre notre humanité et un silence confortable. Souhaitons que le souvenir de votre père, comme un phare dans la nuit, nous éclaire et nous guide.

Merci de votre attention.