La demande du procureur général fait suite à une plainte pénale pour diffamation (art. 173 du code pénal) déposée par deux défenseurs d’office contre le juge pénal fédéral Jean-Luc Bacher en raison de propos que celui-ci a tenus le 10 janvier 2023, lors de la lecture du dispositif du jugement contre le djihadiste de Morges, concernant la fixation des honoraires des défenseurs d’office, qui devaient être approuvés par le tribunal. Selon les deux auteurs de la plainte, le juge pénal fédéral Jean-Luc Bacher a affirmé que leurs notes d’honoraires n’étaient pas établies de manière professionnelle, qu’elles manquaient de sérieux et que les défenseurs avaient tenté de tromper le tribunal.
La commission a auditionné le juge pénal fédéral Jean-Luc Bacher. Il fait valoir qu’il a prononcé les propos incriminés au nom du tribunal, qui se composait, outre de lui-même, de deux autres juges et d’un greffier. Il précise qu’il s’agissait entre autres d’expliquer pourquoi les notes d’honoraires ne pouvaient pas être acceptées dans leur forme originale et pourquoi certaines positions avaient dû être considérablement réduites. Contrairement à ce qu’affirment les auteurs de la plainte, il soutient qu’il ne s’est adressé personnellement à aucun des quatre défenseurs et que ses propos faisaient référence à certaines notes d’honoraires présentées par les défenseurs d’office. Il indique avoir formulé uniquement à titre d’hypothèse une éventuelle intention de tromper le tribunal et avoir présenté deux explications possibles aux honoraires trop élevés du point de vue du tribunal : un manque de rigueur dans le calcul ou justement une tentative de tromperie.
La CdI-N a estimé que les propos reprochés au juge Jean-Luc Bacher avaient un rapport direct avec ses activités et fonctions officielles. À ses yeux, des propos tenus dans le cadre d’un prononcé de jugement qui se réfèrent à la fixation des honoraires de défenseurs d’office sont en effet en lien avec l’activité judiciaire, étant donné que le tribunal doit prendre position sur ces notes d’honoraires. La commission a donc décidé, sans opposition, d’entrer en matière sur la demande.
La CdI-N a ensuite mis en balance les intérêts institutionnels (intérêts publics liés à l’exercice du mandat et à la capacité de fonctionnement du Tribunal pénal fédéral qui en découle) et les intérêts liés à la procédure pénale. En ce qui concerne les intérêts liés à la procédure pénale, elle estime que les déclarations du juge pénal fédéral présentent un très faible degré de gravité. Compte tenu du fait qu’aucun des quatre défenseurs d’office n’a été désigné nommément et que les propos selon lesquels certains avocats auraient tenté de tromper la Cour des affaires pénales avec leurs notes d’honoraires n’ont été formulés qu’à titre d’hypothèse pour les notes d’honoraires jugées trop élevées et erronées par le tribunal, la commission doute qu’il soit vraiment question ici d’une infraction. S’agissant des intérêts institutionnels, la commission relève que c’est aussi pour protéger les juges lorsqu’ils font des déclarations dans l’exercice de leur fonction que la loi sur la responsabilité a été créée. À ses yeux, la capacité de fonctionnement des tribunaux et la liberté d’opinion de leurs membres revêtent une grande importance. La CdI-N souligne que l’examen critique des notes d’honoraires qui lui sont présentées est une tâche importante d’un tribunal, en particulier lorsqu’il s’agit de défenseurs d’office, autrement dit d’avocats dont les honoraires seront entièrement pris en charge par l’État, du moins dans une première phase. Selon elle, des frictions avec les personnes concernées sont inévitables lorsque les notes d’honoraires ne peuvent pas être acceptées telles quelles. La CdI-N considère que c’est précisément dans cette situation qu’il est important que le tribunal puisse communiquer les motifs de son refus aux avocats concernés sans que les juges n’aient à craindre que les avocats engagent une procédure pénale contre eux. Sur la base de ces réflexions, la commission a conclu que les intérêts institutionnels en présence primaient les intérêts liés à la procédure pénale et a donc décidé, à l’unanimité, de ne pas lever l’immunité du juge pénal fédéral Jean-Luc Bacher.
La commission a siégé le 12 février 2025 à Berne, sous la présidence du conseiller national Pierre-André Page (V/FR).