Première œuvre commandée pour le Palais du Parlement depuis 1902, «Consensus» de l’artiste Annaïk Lou Pitteloud, fait demain sa première devant le public. Le travail de l’artiste est d’une simplicité toute apparente. S’y cachent trois ans de travail, des dizaines de collaborateurs et des classeurs de documentation. Présentation.

​Cela faisait depuis son ouverture en 1902 que le Palais du Parlement n’avait pas accueilli de nouvelle œuvre d’art permanente. En 2014, quinze artistes provenant de toutes les régions de Suisse ont été invités à participer à un concours, afin de sélectionner une œuvre qui ornerait l’espace qui donne sur les tribunes du public. Le projet «Consensus», d’Annaïk Lou Pitteloud, a remporté la totalité des suffrages.

Sous les fenêtres du couloir en arc de cercle, l’artiste a placé une série d’inscriptions en relation avec le thème du consensus. Les cinq métaux choisis pour les textes renvoient aux cinq continents et ainsi aux échanges que la Suisse pratique avec le reste du monde, une référence qui faisait encore défaut dans l’iconographie du Palais du Parlement.

 

Annaïk Lou Pitteloud, pendant l’installation de l’œuvre au Palais du Parlement

Le choix des mots

Pour illustrer le mot consensus, A. L. Pitteloud avait choisi une soixantaine de mots qui ont une relation avec le terme consensus. Elle les a envoyés à 25 personnes de son entourage; chacune a sélectionné cinq termes qui lui semblaient le mieux définir ce qu’est un consensus. Ont été retenus ceux qui revenaient le plus souvent. «Chaque terme a été choisi pour évoquer différents contextes sémantiques. Par exemple, «connivence» peut désigner aussi bien une entente qu’un délit d’initié.»

Quels continents

Comme pour le choix des mots, celui des métaux a été mûrement réfléchi. La volonté de représenter tous les continents se heurte déjà à un casse-tête. Selon les systèmes, on passe de quatre à sept continents. A. L. Pitteloud a choisi celui utilisé par la communauté scientifique, qui fusionne Europe et Asie en un seul continent (Eurasie) et qui compte donc l'Amérique du nord, l'Amérique du sud, l'Afrique, Eurasie, l'Océanie et l'Antarctique. 

 

Modèle à six continents avec l'unification de l'Europe et l'Asie (Eurasie).

L'exploitation de toutes les ressources minérales étant interdite en Antarctique jusqu'en 2048 par le Protocole de Madrid, il lui restait cinq continents correspondant aux cinq fenêtres du couloir en arc de cercle.

…pour quels métaux

Pour savoir quel métal illustrerait quel continent, l’artiste a sélectionné les dix premiers producteurs de chaque métal dans le monde – puis elle s’est penchée sur leur histoire et leur lien avec la Suisse. Ainsi, le Chili est le premier producteur de cuivre au monde. A. L. Pitteloud: «Notre pays à un rapport particulier au Chili. Récemment, on peut citer l’affaire des comptes bancaires suisses de Pinochet, qui n’est toujours pas réglée. Lors du coup d’Etat de 1973 qui a mis ce dictateur au pouvoir, beaucoup de réfugiés chiliens sont venus s’installer dans notre pays sur la base d’un mouvement citoyen de Suisses qui les ont invités à venir.»

Parmi les 5 premiers exportateurs de platine au monde, on compte les Etats-Unis. Comme l’a documenté A. L. Pitteloud, ce pays est de loin la principale destination des investissements directs suisses à l’étranger : le stock de capital s’élevait à 192 milliards de francs entre 2013 et 2014, ce qui correspond à 18,1% de l’ensemble des investissements directs réalisés par la Suisse à l’étranger.

Au final, «connivence» est en platine des Etats-Unis, l’or de «compromis» vient d’Afrique du Sud, «convention» est en argent de Chine, «conciliation» en cuivre du Chili et «transaction» en nickel d’Australie.

Déterminer la provenance des métaux: une gageure

Au moment de réaliser l’œuvre, il fallait s’assurer que chaque inscription soit véridique et donc, que le nickel d’Australie ou le cuivre du Chili le soient effectivement. Ici entre en jeu la Kunstgiesserei St. Gallen AG. Spécialiste du travail sur métal, et de toutes les manières possibles de s’en procurer, c’est à eux – en particulier au chef de projet David Andermatt – qu’a incombé le travail de recherche des matériaux: «En général, le métal est extrait dans différents gisements, rassemblé, et vendu au poids par des traders. Il est extrêmement difficile d’en déterminer la provenance. On a eu de la chance pour la Chine; grâce au réseau de notre fonderie, nous avons pu obtenir de l’argent certifié de là-bas. Pour l’Afrique du Sud, on aurait pu avoir du platine certifié mais l’œuvre et les recherches d’Annaïk nous donnait comme contrainte de trouver de l’or. Tout vendeur de légume est plus transparent qu’un vendeur d’or. Finalement, nous avons acheté des Kruggerrand (équivalent du Vrenli) que nous avons fondus. Sans cela, il eût été impossible de certifier une provenance d’Afrique du Sud. Nous avons dû évoluer entre les contraintes très rigides que nous donnait le projet d’Annaïk; c’était notre gageure. Mais c’est aussi en cela qu’a résidé le plaisir du travail.»

 

L’or d’Afrique du Sud vient de Krugerrand fondus

Un travail d’orfèvre

Les inscriptions étant extrêmement fines, le travail de fonte a aménagé beaucoup de surprises. D. Andermatt: «La température de fusion du platine est extrêmement élevée (1768°). Nous n’avions pas les infrastructures pour une fusion à une température si haute. C’est le premier métal que nous avons transféré à une fonderie spécialisée dans la bijouterie. Mais finalement, nous avons rencontré des difficultés avec tous les métaux, tant et si bien que cette fonderie de bijoux, qui dispose également d’instruments pour fondre sous vide, s’est occupée des cinq. Ils ont fait chaque pièce par petites parties, qui ont ensuite été soudées, puis poncées, pour rendre la soudure invisible. Le platine et le cuivre ont été poncés une fois collés au mur – ils étaient trop fragiles et se seraient brisés, sinon.»

 

«Le platine et le cuivre ont été poncés une fois collés au mur – ils étaient trop fragiles et se seraient brisés, sinon.»

 

Retouches de peinture après le ponçage

 

L’équipe responsable de poser l’œuvre. De gauche à droite : Florin Kugler, fondeur; David Andermatt, chef de projet de la Kunstgiesserei St. Gallen; David Van Mieghem, graphiste; Steve Van den Bosch, artiste; Annaïk Lou Pitteloud, artiste


La simplicité de l’œuvre n’est qu’apparente. D. Andermatt: «Pour moi, c’est aussi en cela que réside sa beauté. Qu’il ait fallu toutes ces collaborations pour obtenir quelque chose de si simple en apparence.»

Annaïk Lou Pitteloud a tenu à ce que ces collaborations figurent sur la plaquette de l’œuvre: «A chaque étape, de nombreux contributeurs ont été nécessaires. Je voulais que ce soit visible».  

 

A l’occasion du vernissage de l’œuvre « Consensus », le Président du Conseil national a salué le travail de l’artiste Annaïk L. Pitteloud et annoncé que le couloir d’accès à la Tribune des visiteurs serait désormais baptisé "Galerie du Consensus.
Lien vers le discours 

 

D’autres articles