Observation des élections législatives anticipées en Bulgarie (12 mai 2013) – rapporteur Andreas Gross et intervention de Alfred Heer

La situation au Proche-Orient – interventions de Doris Fiala, Maximilian Reimann et Alfred Heer

Demande d’ouverture d’une procédure de suivi pour la Hongrie – intervention de Luc Recordon

L’évaluation du partenariat pour la démocratie concernant le Parlement du Maroc – interventions de Liliane Maury Pasquier, Luc Recordon et André Bugnon

Mettre fin aux stérilisations et castrations forcées – rapporteure Liliane Maury Pasquier et intervention de Luc Recordon

L’égalité de l’accès aux soins de santé – présentation par Liliane Maury Pasquier du rapport de M. Lorrain (France)

Séparer la responsabilité politique de la responsabilité pénale – intervention de Andreas Gross et Luc Recordon

 

Observation des élections législatives anticipées en Bulgarie (12 mai 2013) – rapporteur Andreas Gross et intervention de Alfred Heer

M. GROSS (Suisse) - Lorsque l’on veut observer tous les aspects – sociaux, économiques, politiques, sans oublier les relations entre les institutions et celles entre les institutions et les citoyens – de la crise de la démocratie que connaît actuellement l’Europe, il faut aller en Bulgarie.

En effet, nous constatons depuis trois mois dans ce pays une crise majeure, qui a débouché sur des élections anticipées. Celles-ci, en dépit d’un résultat clair, ont produit un parlement divisé. Pour la onzième journée consécutive, les Bulgares sont dans la rue et la crise persiste. Il faudra réfléchir à cet état de fait : plus de 100 000 personnes sont descendues dans la rue, en janvier et février derniers, à cause de la misère sociale. Le gouvernement a alors été poussé à démissionner. L’opposition a souhaité organiser des élections, lesquelles ont été marquées par une absence totale de confiance des citoyens dans la politique et les institutions. Presque personne, en Bulgarie, ne pense que la politique peut apporter des solutions.

A peine 50 % des Bulgares ont donc participé au scrutin. La veille des élections, dans une imprimerie privée appartenant à un membre du parti de centre droit, près de 400 000 bulletins de vote ont été découverts, prêts à être utilisés dans le cadre d’une gigantesque fraude – preuve supplémentaire donnée aux citoyens qui n’avaient déjà pas confiance.

Nous avons observé un grand nombre d’erreurs et beaucoup de tricherie : 15 % des personnes – soit presque un tiers de ceux ayant participé au vote – ont reconnu qu’elles étaient disposées à acheter ou vendre des voix.

Le résultat du scrutin fait que le parlement est divisé. Personne ne veut former de coalition avec le vainqueur des élections, à savoir l’ancien parti au pouvoir.

Les deuxième et troisième partis ont donc constitué un gouvernement de centre gauche. Une des premières décisions de ce gouvernement a été une erreur monumentale, puisqu’il a désigné un magnat de la presse, qui a déjà été accusé de corruption, à la tête des services de sécurité.

Des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue. Le Président, à qui a été déniée la compétence de désigner cette personne, a critiqué le gouvernement, qui a ensuite reconnu avoir fait une erreur. Le parlement a corrigé cette décision, mais la population est toujours dans la rue. Les gens ne pensent pas que cette majorité est compétente pour soulager la misère et trouver des solutions aux problèmes économiques.

La méfiance est toujours là, à cause de cette erreur du nouveau gouvernement. Voilà un énorme problème qui justifie notre attention. C’est la crise de la démocratie. La démocratie n’a pas aidé la population et n’a pas servi la cause commune. C’est une constatation inquiétante. Nous devons continuer à agir pour le changement.

 

M. HEER (Suisse) * – Je tiens moi aussi à remercier M. Gross de son rapport. J’ai été observateur en Bulgarie, à Montana : à première vue je n’ai constaté aucune grave irrégularité. Les élections étaient bien organisées et les responsables des bureaux de vote bien informés sur la procédure à suivre.

Le fait est que la Bulgarie connaît des troubles sociaux dont vous connaissez les raisons et que le Conseil de l’Europe n’a pas le pouvoir de les régler. C’est aux dirigeants politiques bulgares qu’il appartient en effet de prendre ces problèmes à bras-le-corps.

Il est vrai que, comme l’a relevé M. Gross, 400 000 bulletins de vote non officiels ont été trouvés la veille du scrutin, ce qui est tout à fait regrettable. Le fait qu’ils aient été découverts et que la presse en ait parlé prouve en revanche que chacun, en Bulgarie, est prêt pour la démocratie, puisque le débat a lieu au sein du pays et que les activités illégales y sont révélées, ce qui est une des premières conditions du fonctionnement de la démocratie. Je ne pense pas que nous devions faire la leçon à ce pays, mais nous devons lui apporter notre soutien, en lui faisant part des expériences de nos propres démocraties. La Suisse a une longue tradition démocratique, ce qui n’est pas le cas de tous les pays membres du Conseil de l’Europe. Contentons-nous de proposer des améliorations, sachant qu’il appartient à chaque pays d’introduire la démocratie et de la protéger indépendamment des orientations politiques. La démocratie est un modèle pour tous, qui doit être voulu par tous afin de permettre à la population de participer à la construction de son avenir.

 

La situation au Proche-Orient – interventions de Doris Fiala, Maximilian Reimann et Alfred Heer

Mme FIALA (Suisse), porte-parole de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe* – La situation au Proche-Orient est complexe et réellement déprimante. Il est particulièrement difficile de rédiger un rapport neutre, sans parti pris, qui essaie de se concentrer sur les préoccupations principales du Conseil de l’Europe. Au nom du groupe des libéraux, je voudrais remercier Pietro Marcenaro, le rapporteur, pour son excellent travail et son grand engagement.

Depuis 2010, le processus de paix entre Israël et les Palestiniens n’a guère avancé. Il n’y a pas eu de réconciliation et, d’une façon plus générale, la situation au Proche-Orient est extrêmement préoccupante. Ne pouvant tout passer en revue, je m’attacherai plus particulièrement à la guerre civile en Syrie, qui est l’une des plus grandes catastrophes humanitaires que nous ayons connues. C’est un énorme défi pour les Etats qui accueillent les réfugiés, en particulier pour la Turquie, la Jordanie et le Liban. Une délégation du Conseil de l’Europe a pu se rendre dans le plus grand camp de réfugiés de Jordanie. Nous avons pu mesurer les efforts déployés par ce royaume et c’est la raison pour laquelle je souhaite remercier tous ces pays qui, directement ou indirectement, contribuent à stabiliser la région.

Les libéraux soutiennent le rapporteur, notamment dans les recommandations qu’il adresse aux Palestiniens et à Israël. Tous deux doivent avancer et, à cet égard, je tiens à relever les points 13.1 et 13.2 de la résolution : pour surmonter ce conflit, les Israéliens doivent en effet accorder des droits aux minorités, libérer de nombreux prisonniers, mettre un terme à la construction de nouvelles colonies et lever le blocus sur la bande de Gaza ; les Palestiniens, quant à eux, doivent œuvrer à la réconciliation entre le Fatah et le Hamas, procéder aux élections attendues depuis si longtemps, de renoncer à toute rhétorique antisémite, aux attentats terroristes et à considérer ces militants comme des martyres.

Il n’est pas possible en trois minutes d’aborder tous les aspects de la question, mais nous tenons à saluer les recommandations qui figurent dans ce projet de résolution et en remercions chaleureusement le rapporteur.

 

M. REIMANN (Suisse)* – J’appartiens à la sous-commission qui s’est rendue au mois d’avril au Proche-Orient. Cela est évoqué au point 6 du projet de résolution. Selon moi, certaines choses se sont moins bien passées. Pour des raisons de courtoisie, le rapport ne l’évoque pas. Je saisis cette occasion pour l’évoquer en séance plénière.

Je soutiens pleinement ce rapport ciblé, équilibré, présentant les aspects positifs et négatifs des deux camps. C’est une bonne base pour trouver une solution pacifique à ce conflit qui dure depuis six décennies. Mes espoirs sont faibles parce que les fronts se sont durcis. La crainte d’un document de plus est réelle.

Ce sont nos contribuables qui financent ces missions. En quatre semaines, nous avons dû rendre deux fois au Proche-Orient, en Jordanie puis en Israël. Qui a mis cela au point ? Jusqu’à présent on ne sait pas. On dit toujours que l’autre camp est responsable.

Lorsqu’on a planifié ce voyage, j’ai demandé que l’on inclue la bande de Gaza et le Hamas. On m’a répondu que c’était impossible pour des raisons de sécurité. Cela n’est pas crédible car la Palestine est scindée en deux, pas seulement géographiquement par Israël. Si le Conseil de l’Europe veut se faire une idée de la situation, il ne suffit pas de se rendre à Ramallah. Si le Hamas ne peut pas garantir notre sécurité, comment croire qu’il puisse diriger un Etat ?

Deux membres de notre sous-commission n’ont pas obtenu de visa. C’est un manque de courtoisie de la part d’Israël, Etat observateur, à l’égard des deux ressortissants marocains, même si une formalité n’a pas été respectée à la lettre.

 

M. HEER (Suisse)* - Au cours de ce débat, le plus important n’a pas été dit. Au Proche-Orient, nous avons affaire à un Etat légitime sur le plan démocratique, un Etat de droit, avec une séparation des pouvoirs : l’Etat d’Israël.

Vous pouvez obliger Israël à conclure des traités de paix. Mais avec qui faut-il négocier ? Avec les Palestiniens, le Hamas, le Fatah ? Qui est le partenaire de négociations des Palestiniens qui sont eux-mêmes divisés ? La Syrie est en pleine débâcle avec une guerre civile dont l’issue est incertaine.

Mme Schuster a parlé de l’ONG «Peace Now». Mais l’ancien Premier ministre Begin est le seul à avoir contribué à la paix. Il avait réussi à conclure un traité de paix avec l’Egypte. Cela montre qu’Israël est tout à fait disposé à faire la paix lorsqu’il a un partenaire.

En Egypte, nous sommes confrontés à une révolution encore en cours mais nous espérons que le pays reste stable. Dans les années 1970, la situation était bien pire. Aujourd’hui, il existe un traité de paix entre Israël, la Jordanie et l’Egypte. C’est déjà un pas en avant.

Dans ces pays arabes, l’Etat de droit et les principes démocratiques n’existent pas. La situation est d’ailleurs la même en Syrie, avec le fils de l’ancien dictateur. Le Conseil de l’Europe devrait prendre fait et cause pour la démocratie, y compris auprès des Palestiniens. Il nous faut défendre l’Etat de droit, en particulier auprès du Hamas qui essaie d’attaquer Israël régulièrement.

Je suis convaincu qu’Israël est disposé à conclure un traité de paix si son partenaire est un Etat de droit.

 

Demande d’ouverture d’une procédure de suivi pour la Hongrie – intervention de Luc Recordon

Chers collègues, je suis un peu déçu, voire inquiet, de constater au fil des sessions que le souci des droits de l’homme se banalise même dans cette Assemblée. Je comprends la réaction émotionnelle qu’on peut avoir lorsque son pays est mis en cause. Je n’en ai pas été complètement exempt lorsque le mien l’a été sur des questions financières. Je dois cependant reconnaître que, malgré certaines exagérations, c’était à juste titre.

M. von Sydow a rappelé que parfois la Suède elle-même est dans le collimateur.

Une procédure de suivi est-elle à ce point un problème qu’il faille faire passer les intérêts émotionnels d’un pays, voire nationaux, je n’ose pas dire nationalistes, avant la défense des droits de l’homme ? Une procédure de suivi ne peut-elle être ouverte que s’il y a des morts ?

Il y a eu en Europe des dérives qui ont pu aboutir à des pertes de vies, y compris dans des pays réputés très démocratiques, mais c’était ponctuel et dans un cadre très spécifique. Ce qui frappe dans le cas hongrois, c’est que sur de nombreux plans, la liberté d’expression, le racisme, l’antisémitisme même, on banalise les violations des droits. C’est extrêmement inquiétant et cela constitue un très mauvais exemple pour l’ensemble de l’Europe, qui a malheureusement parfois tendance à suivre.

Je vous pose la question et poser la question, c’est y répondre : devons-nous faire passer les intérêts nationaux avant notre rôle de défenseur des droits de l’homme ou devons-nous sacrifier les droits de l’homme à l’intérêt d’un pays ?

 

L’évaluation du partenariat pour la démocratie concernant le Parlement du Maroc – interventions de Liliane Maury Pasquier, Luc Recordon et André Bugnon

Mme MAURY-PASQUIER (Suisse) – En 2011, lors du débat sur l’attribution du statut de partenaire pour la démocratie au Parlement marocain, j’ai été chargée d’élaborer un rapport sur la question spécifique du conflit du Sahara occidental. Ce travail est en cours d’élaboration ; je ne l’évoquerai donc pas.

Avec le soutien de nos collègues de la délégation marocaine auprès de l’Assemblée, j’ai effectué récemment une visite à Rabat et à Laayoune, qui m’a permis de recueillir des informations sur la situation actuelle du Maroc. Comme d’autres, je me félicite des progrès réalisés dans le pays, mais je voudrais évoquer aujourd’hui les préoccupations du rapporteur spécial des Nations Unies pour la torture, M. Méndez, d’Amnesty International et de Human Rights Watch. En effet, je demande à notre partenaire marocain d’aller plus vite et plus loin dans la lutte contre la torture et les traitements inhumains ou dégradants, dans l’amélioration des conditions de détention et dans le respect des libertés fondamentales, liberté de conscience, de religion et de croyance, liberté d’expression et liberté d’association. Je lui demande également instamment de faire tout ce qui est en son pouvoir pour faire advenir une réforme du pouvoir judiciaire aussi attendue que nécessaire.

Nous ne prétendons pas, par ces appels, donner des leçons à quiconque mais, au contraire, nous exprimons notre volonté d’aider le Maroc, sur les principes et sur les faits, sur le papier et dans la réalité, à atteindre le plus haut niveau possible en matière de démocratie, de droits de l’homme et d’Etat de droit.

Certes, nous avons du pain sur la planche! Mais je me sens partie prenante, sans aucun esprit de supériorité, de cette entreprise. Je désire m’engager auprès de notre partenaire marocain, autant que possible avec le sourire – même si certaines décisions qui viennent d’être prises par l’Assemblée me donnent plutôt envie de pleurer – et main dans la main avec toutes les personnes de bonne volonté, soucieuses de promouvoir les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe.

 

M. RECORDON (Suisse) – C’est avec beaucoup de satisfaction que j’ai pris connaissance des nombreux progrès enregistrés par les droits humains au Maroc. A ce titre, je m’associe volontiers au flot d’éloges et d’encouragements que j’ai entendus. Toutefois, et même si je suis un grand ami du Maroc – comme beaucoup des préopinants –, je voudrais, suivant en cela la formule de M. Villumsen, selon laquelle il faut savoir écouter ses amis quand ils disent des choses un peu moins agréables, soulever le problème de la violation des droits de l’homme dans la région sahraouie.

Certes, cette question sera reprise par notre Assemblée, mais, pour que le tableau de la situation soit complet, il faut malheureusement dire que ce sujet jette une ombre assez grande sur le panorama très positif que nous venons de brosser. En effet, dans ce domaine, je crains que nos amis marocains ne tombent dans les travers qui sont souvent les nôtres – on a pu le constater pas plus tard qu’au début de cet après-midi. En effet, lorsque les intérêts nationaux sont vraiment en jeu, ils passent avant le strict respect des droits de l’homme.

Je ne prendrais qu’un exemple : lors de la préparation d’une conférence organisée à Fès, à laquelle il était question que je me rende ainsi qu’un de mes collègues, parlementaire suisse, il n’a pas été possible de faire entendre aux organisateurs que l’on puisse parler d’autre chose que des violations des droits de l’homme du côté du Front Polisario. Rien, en revanche, pour celles qui pouvaient être commises de l’autre côté, ce qui marque l’absence du plus élémentaire sens de l’objectivité. De même, je n’ai jamais été en mesure de trouver un défenseur des droits de l’homme au Maroc – que ce soit auprès de la Ligue des droits de l’homme ou des grands écrivains – qui soit un tant soit peu critique sur la question sahraouie. Je suis donc un peu inquiet des développements dans ce domaine. Mais enfin, je m’en remettrai à ce qui ressortira du rapport spécial que nous consacrerons à cette question.

 

M. BUGNON (Suisse) – Le Président Mignon a rappelé tout à l’heure ce qui a précédé à la mise en place du système de partenariat pour la démocratie. Je suis fier de cette initiative du Conseil de l’Europe, qui montre la volonté des Etats membres de ne pas rester repliés sur eux-mêmes mais de défendre la démocratie à l’extérieur de leurs frontières. Bienvenue au Maroc dans la grande famille de la démocratie!

Pour Voltaire, c’est la propension de l’homme à être injuste qui a rendu la démocratie nécessaire, et sa propension à être juste qui l’a rendu possible. Face à la dualité de l’être humain, la démocratie est donc le moyen de l’évolution des peuples.

Il y a quelques semaines, j’ai participé à un séminaire à Rabat sur l’évolution de la démocratie au Maroc. Nos échanges avec les parlementaires marocains se sont révélés particulièrement fructueux. Leur volonté d’avancer est bien réelle.

Comme le disait Churchill, la démocratie n’est pas un bon système, mais il n’en existe pas de meilleur. Elle garantit la liberté d’opinion, la liberté de religion, l’équité entre les citoyens, la primauté du droit et le respect des droits humains. Combien de temps est-il nécessaire pour l’instaurer durablement dans un pays? Dix ans, un siècle? En Suisse, c’est en 1291 que les premiers cantons se sont unis pour construire ensemble les instruments de la démocratie. C’est dire s’il faut du temps! Mais notre exemple peut aujourd’hui faciliter la tâche à d’autres.

La démocratie n’efface ni l’histoire, ni les traditions d’un pays, et d’ailleurs il existe des monarchies constitutionnelles parmi les pays européens. Le Maroc et la Suisse ont un point commun, celui d’avoir fait accepter leur Constitution par le peuple. En Suisse, nous ne changeons pas une virgule de la Constitution sans en référer à lui. Elle n’appartient pas à la majorité politique au pouvoir mais à l’ensemble des citoyens. Le Maroc a pris beaucoup d’avance en acceptant d’emblée ce principe. Je lui souhaite une bonne continuation sur le chemin de la démocratie!

 

Mettre fin aux stérilisations et castrations forcées – rapporteure Liliane Maury Pasquier et intervention de Luc Recordon

Mme MAURY PASQUIER (Suisse), rapporteure de la commission des affaires sociales, de la santé et du développement durable – Chers collègues, les stérilisations et castrations forcées non réversibles constituent de graves violations des droits humains et de la dignité humaine. Partant, elles sont inacceptables dans les Etats membres du Conseil de l'Europe. C'est le constat posé par le présent rapport et affirmé en ouverture du projet de résolution.

Ce rapport vise à apporter une approche globale à la question des stérilisations et castrations imposées, qui a, jusqu'à présent, fait l'objet de discussions du Conseil de l'Europe et de cette Assemblée sur des cas particuliers tels que, par exemple, la discrimination à l’encontre des transsexuels. Par «approche globale», j'entends que ce rapport, et tout particulièrement ce projet de résolution, ne sont pas dirigés contre un pays en particulier, mais s'adressent bel et bien à l'ensemble des pays membres. Cette approche globale, orientée sur les droits humains, présente une perspective historique, afin de tirer les leçons du passé pour mieux agir aujourd'hui. Car, hier comme aujourd'hui, la peur de tout ce qui est perçu comme «différent» et donc inférieur, voire parfois menaçant, peut mener à des dérives, par souci de contrôler ces différences ou du moins leur propagation.

Commençons, si vous le voulez bien, par hier. Dans la première moitié du XXe siècle, les nouvelles idées scientifiques concernant notamment les classes sociales et les races se sont mêlées au souci d'assurer la puissance des nouveaux États-nations pour former un terreau fertile à la stérilisation eugénique – et, dans une mesure bien moindre, la castration. Le programme suédois, par exemple, visait ainsi essentiellement des femmes susceptibles de devenir une charge pour le système de protection sociale en développement. D'abord «positif», c'est-à-dire pensé pour le bien des personnes concernées et de la société et orienté vers les «mieux adaptés», l'eugénisme est devenu «négatif», stigmatisant les personnes perçues comme inaptes, donc inférieures, et promouvant à leur encontre la stérilisation forcée. Cette pratique s'est répandue dans de nombreux pays, en visant particulièrement les personnes pauvres, de couleur ou socialement marginalisées – et plus fréquemment les femmes.

Si le cas de l'Allemagne nazie est bien connu, la Caroline du Nord n'a mis officiellement un terme à son programme de stérilisation forcée qu'en 1974. De la même manière, les lois eugéniques scandinaves n'ont été abolies que vers cette époque. Et comme est venue nous le rappeler Mme Bernadette Gàchter par son témoignage poignant, des avortements et stérilisations forcés se pratiquaient encore dans mon propre pays, la Suisse, dans les années 1970.

La stérilisation forcée et sans consentement constitue pourtant une violation de plusieurs droits humains internationalement reconnus, dont le droit à la santé, le droit à l'intégrité physique, le droit de ne pas être soumis à la violence, à la torture et à d'autres traitements inhumains ou dégradants, le droit pour les femmes de décider du nombre et de l'espacement des naissances et le droit de chacun de ne pas subir de discriminations. Dans son dernier rapport, publié le 1er février 2013, le rapporteur spécial de l'ONU sur la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, M. Juan E. Méndez, qualifie de mauvais traitements interdits les violences et abus commis dans les établissements de santé, parmi lesquels les stérilisations forcées. La Cour européenne des droits de l'homme a d'ailleurs déjà jugé dans plusieurs affaires que la stérilisation sans consentement de femmes roms était contraire à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et représentait donc une violation des droits humains.

En ce qui concerne le passé récent de l'Europe, le rapport décrit particulièrement la situation de la République tchèque, étant donné que ce pays a eu l'obligeance de m'accueillir pour une visite d'étude. La stérilisation forcée de femmes roms y a eu cours sous le régime communiste et s'est ensuite poursuivie dans le milieu médical, par exemple au cours de césariennes. Aucune des personnes mises en cause n'a été soumise à des sanctions et les procédures n'ont que rarement abouti à une indemnisation, pour cause de prescription. Le 1er avril 2012, toutefois, la République tchèque a adopté une nouvelle loi sur la stérilisation, plus conforme aux lignes directrices de la Fédération internationale de gynécologie et d'obstétrique sur la stérilisation forcée. En outre et surtout, il semble que les médecins tchèques soient en train de changer de position à l'égard de la stérilisation.

De nos jours, dans 29 États membres du Conseil de l'Europe, la stérilisation est une condition préalable pour que le pays reconnaisse légalement une personne transsexuelle dans son nouveau sexe. Je cite dans le rapport le cas de la Suède, qui a également bien voulu m'accueillir pour une visite d'étude. La loi suédoise, encore en vigueur pour quelques jours, date de 1972 et impose la condition de stérilisation. A l'issue d'un vaste débat national, le Parlement suédois a toutefois adopté une loi abolissant la condition de stérilisation à compter du 1er juillet prochain. La question est désormais de savoir si les transsexuels victimes de stérilisation forcée doivent être indemnisés par l'État, comme l'ont été les victimes de l'ancien programme de stérilisation eugénique.

De manière générale, la stérilisation sans consentement continue aujourd'hui de menacer particulièrement les femmes handicapées. Toutefois, c'est surtout la castration qui, de nos jours, fait débat. Une tendance de plus en plus forte se dessine en faveur de la castration des délinquants sexuels condamnés. Or le CPT a exprimé son objection de principe à la castration chirurgicale comme moyen de traitement des délinquants sexuels. Il a notamment souligné que le contexte dans lequel l’intervention est proposée pose question quant au caractère libre et éclairé du consentement. En effet, il est permis d’imaginer que certains patients obtempèrent plutôt qu'ils ne consentent, pensant que c'est là le seul moyen qu'ils ont de sortir de prison ou de l'hôpital psychiatrique. Signalons toutefois que, dans ce domaine aussi, la République tchèque, qui a fait avec l'Allemagne l'objet de critiques de la part du CPT, a adopté une nouvelle législation et des nouvelles règles, beaucoup plus strictes.

Cela n'enlève rien au fait que, comme le CPT, je ne suis toujours pas convaincue de la liberté du consentement d'une personne qui doit choisir entre passer toute sa vie enfermée et subir une castration chirurgicale. La frontière entre les stérilisations et castrations forcées, ou du moins imposées – si l'on exclut le recours à la force physique – et celles qui ne le sont pas fait l'objet de débats, y compris au sein de cette assemblée. Je pense que toute pression, même involontaire, même simplement induite par le contexte, carcéral par exemple, ou par la relation de pouvoir existant entre le médecin et son patient, est un frein au libre consentement. Je crois fermement que nous devons adopter cette vision large pour éviter des dérives telles que celles de l'ancien programme eugénique suédois qui, sur le papier, mais, la plupart du temps, sur le papier seulement, était un programme de stérilisation «volontaire». Dans la réalité, les victimes subissaient d'énormes pressions pour signer les formulaires de consentement, soit sous forme de carotte – par exemple la promesse de pouvoir sortir d'une institution – ou de bâton – notamment la menace de perdre la garde de leurs enfants.

Je nous propose de retenir les leçons de l'histoire en observant comment la société a pu parfaitement tolérer de telles atteintes aux droits humains et d'inviter les Etats que nous représentons à prendre toutes les mesures nécessaires pour que jamais, plus jamais, ces atteintes ne puissent se reproduire. Il convient non seulement d’abolir ces pratiques, mais aussi d’œuvrer à un changement de mentalité face à la différence, ainsi qu’à un changement des attitudes paternalistes au sein du corps médical. Il faut également que les victimes puissent obtenir réparation, protection et réhabilitation et, s’agissant des affaires récentes, poursuivre les coupables. Quelle que soit la date de l'affaire, il convient enfin de présenter des excuses officielles et d’accorder une indemnisation, tout au moins symbolique. C'est alors, et alors seulement, que nous aurons pleinement incarné les idéaux du Conseil de l'Europe.

 

M. RECORDON (Suisse) – En ma qualité de personne affectée d’un assez lourd handicap, je me suis posé maintes questions au cours de ma vie – et mes parents également – sur la pertinence d’avoir une descendance. Ce sont des questions extrêmement délicates et je pense qu’il appartient à chacun de les résoudre. Elles n’appellent pas de réponse univoque et identique pour tous, ni de réponse figée pour une fois pour toute dans sa vie ou pour chaque personne handicapée.

Je serais vraiment navré d’imaginer que l’on puisse encore aujourd’hui considérer que les personnes handicapées doivent se voir privées de la capacité de mener cette réflexion, qui est déjà très difficile pour elles, en la confiant, par je ne sais quel esprit totalitaire, à un organisme étatique. Ce serait absolument aberrant ! Mais s’il est aberrant de priver les personnes handicapées de ce choix fondamental d’avoir ou non une descendance et si les priver de leur liberté de réflexion et de choix est le cœur de l’affaire, cela ne l’est pas moins pour les autres catégories de personnes.

Le rapport de Mme Maury Pasquier met en évidence à quel point, dans un terrible inventaire à la Prévert, on a fait se rejoindre les handicapés physiques ou mentaux, les personnes transgenres, les Roms et diverses autres catégories.

C’est effarant et montre le danger de l’idéologie classificatoire et catégorielle : on met les gens dans des cases – certains peuvent même être dans deux à la fois : on peut avoir des handicapés roms – et après on les assujettit à un traitement spécial, infantilisant et dégradant voire, dans le cas particulier que nous étudions ici, castrant.

C’est vraiment là quelque chose de grave qui a frappé toutes nos sociétés. Mon pays lui-même, ainsi que ma propre région, le canton de Vaud, a été frappé par cette épouvantable idéologie qui a d’ailleurs fait d’autres dégâts, puisqu’elle a conduit, entre autres, au scandale des enfants placés. Notre ministre de la Justice s’est excusé il y a exactement deux mois pour les traitements humiliants qui ont été infligés à ces personnes.

Ce rapport vient donc à son heure lorsqu’il exige une reconnaissance des souffrances de ces personnes ainsi que des excuses. Certes, ces excuses ne doivent pas nécessairement venir de la Reine, comme le souhaitait M. Farina, mais il faut que des paroles officielles soient prononcées par les plus hautes autorités au nom de la société.

Je suis vraiment convaincu que nous faisons aujourd’hui acte civilisateur. Je me réjouis d’ailleurs que tous les pays ayant quelque chose à se reprocher aient, cet après-midi, par la voix des différents intervenants, reconnu les aberrations qui ont été commises. Gardons-nous simplement de trop vouloir embrasser et, par là-même, de mal étreindre : il ne faut pas inclure dans notre rapport tout ce que certains voudraient y ajouter par voie d’amendement. De même, nous devons refuser d’affaiblir les termes de cet excellent rapport. Gardons à l’esprit cette valeur centrale : le consentement libre et éclairé. Dans un cas comme celui-là, c’est le seul critère qui puisse tenir. Quand nous avons affaire à des gens dangereux, il y a d’autres mesures à prendre à leur égard ; quand les auteurs de ces actes ont de la peine à donner leur consentement, faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour les aider à le faire.

 

L’égalité de l’accès aux soins de santé – présentation par Liliane Maury Pasquier du rapport de M. Lorrain (France)

Mme MAURY PASQUIER (Suisse), rapporteure suppléante – Je commencerai cet exposé en rendant hommage au travail remarquable réalisé par mon collègue, le sénateur Jean-Louis Lorrain, dans le cadre de son rapport sur l’égalité d’accès aux soins, que j’ai l’honneur de vous présenter en son nom. En effet, M. Lorrain ne peut être parmi nous aujourd’hui en raison de graves problèmes de santé. Je voudrais l’assurer, lui et sa famille, que nos pensées vont vers eux dans cette période particulièrement difficile.

En guise d’introduction, je tiens à rappeler haut et fort que le droit à la santé est un droit fondamental, tout comme le droit à la vie ou le droit à la liberté d’expression. Il me semble en effet que, trop souvent encore, il existe une fâcheuse tendance à créer une hiérarchie entre les droits fondamentaux, ce qui conduit certains à considérer les droits sociaux et économiques comme une commodité, voire une forme de confort facultatif.

Or le droit à la santé n’est pas une commodité, comme ne l’est pas davantage l’accès aux soins de santé qui constitue un élément essentiel de ce droit.

En effet, l’article 11 de la Charte sociale européenne, article qui consacre le droit à la protection de la santé, exige que les Etats mettent en place des structures de soins accessibles et efficaces pour l'ensemble de la population – je dis bien pour l'ensemble de la population – : nous touchons là au cœur même du rapport de M. Lorrain. En effet, l'égalité d'accès aux soins de santé suppose que les soins soient accessibles à tous, en droit comme en fait.

Hélas, force est aujourd'hui de constater que les personnes vivant dans les frontières du Conseil de l'Europe souffrent de plus en plus d'inégalités en terme d’accès aux soins de santé. Nombreux en effet sont ceux qui sont exclus ou quasiment exclus du système de santé parce qu'ils n'ont pas de contrat de travail ou de résidence régulière. Nombreux aussi ceux qui n'ont pas les moyens financiers de payer la part des frais de soins non prise en charge par le système de santé.

Il est également important de relever qu’une partie de la population n'a pas accès ou n'a qu'un accès très limité aux établissements de soins et aux professionnels de santé en raison de la localisation de leur domicile, notamment parce que cette partie habite dans des zones rurales ou isolées.

N'oublions pas non plus les nombreux patients qui rencontrent des difficultés pour exprimer leurs problèmes de santé tout simplement parce qu'ils souffrent de déficiences sensorielles, ne maîtrisent pas suffisamment la langue du pays hôte ou comprennent mal les règles relatives aux systèmes de santé, lesquelles sont souvent complexes, même pour un public averti. Par ailleurs, tandis que certains se voient imposer des formalités administratives excessives pour pouvoir bénéficier des soins, d'autres doivent verser des pots-de-vin aux professionnels de santé pour échapper aux longues listes d'attente ou, pire encore, simplement recevoir des soins.

Ce sont là des inégalités qui trouvent leur origine dans l'organisation et le fonctionnement des systèmes de santé.

Un autre facteur conduit à des inégalités d'accès aux soins: c’est la tendance actuelle en Europe à conduire des politiques migratoires et sécuritaires de plus en plus sévères. En effet, le débat sur les droits fondamentaux des migrants en situation irrégulière est souvent associé, si ce n'est constamment associé, au débat sur l'immigration illégale, d'où notamment les dispositions réglementaires prises dans certains pays qui obligent les professionnels de santé ou les fonctionnaires publics à signaler les migrants en situation irrégulière. Ce genre de disposition, hormis les questions éthiques qu'elle soulève pour les professionnels de santé, a pour conséquence de décourager de nombreux migrants de se manifester aux autorités sanitaires par peur d'être dénoncés.

Quelle que soit leur origine, les inégalités d'accès aux soins touchent surtout les groupes vulnérables de nos sociétés telles que les chômeurs, les familles monoparentales, les enfants et les personnes âgées, ainsi que les Roms et les migrants, particulièrement ceux en situation irrégulière ou les personnes sans domicile fixe. Souvent, ceux qui ont le plus besoin des soins de santé sont également ceux qui rencontrent les plus grandes difficultés pour y accéder.

Or nous devons bien comprendre que les inégalités d'accès aux soins non seulement mettent en danger la vie des personnes concernées et constituent ainsi une violation potentielle de leur droit fondamental à la santé, mais pourraient également conduire à un vrai problème de santé publique ainsi qu'à une augmentation subséquente des dépenses de santé. En effet, que font les personnes qui souffrent de ces inégalités ? Soit elles ne vont pas voir un médecin, soit elles n'y vont que tardivement, voire trop tardivement, lorsqu'elles y sont vraiment contraintes. Dans le cas des maladies transmissibles comme la tuberculose ou le sida, cette situation conduit à soumettre la population entière à un risque plus élevé de contamination. De surcroît, le recours tardif aux traitements entraîne des coûts plus importants, liés à un traitement d’urgence ou à un traitement plus lourd en raison de la dégradation de l’état de santé.

Je voudrais également appeler votre attention sur l'impact de la crise économique actuelle sur les systèmes de santé européens, notamment sur l'accessibilité aux soins. Il semblerait que, d'une part, les coupes budgétaires imposées par les mesures d'austérité aient entraîné un recul des dépenses publiques, y compris dans le secteur de la santé, et, d'autre part, que la crise ait eu des répercussions sur les déterminants socio-économiques de la santé, notamment sur l'accès à un emploi et à un logement, ce qui s’est traduit par une augmentation des besoins en termes de soins. Pour le dire plus simplement, il y a moins d'argent pour les services de santé alors qu'il y a plus de besoin de services de santé.

En outre, dans les pays où la couverture maladie est plus ou moins liée à la possession d’un emploi, la crise a conduit à une augmentation du chômage et donc à l'exclusion d'une partie importante de la population de l’accès aux soins de santé.

À cet égard, je vous conseille vivement de vous reporter au chapitre du rapport consacré à la visite d'information que j’ai effectuée en avril dernier à Athènes : il illustre malheureusement bien l'impact de la crise économique et les effets pervers des mesures d'austérité sur l'accessibilité aux soins.

Je tiens à vous lire l’extrait d’un petit article de la professeure Samia Hurst, qui est médecin et bio-éthicienne à la faculté de médecine de Genève : «La récession fait mal, l’austérité tue». Ce livre coécrit par un sociologue et un épidémiologue a fait récemment parler d’un sujet habituellement peu abordé : les liens entre la santé et les politiques. Pas les politiques de la santé, non, les politiques tout court. Un exemple : entre 2007 et 2010, aux Etats-Unis, durant la crise économique, on a observé 4 750 morts par suicide «en excès» de ce qui était attendu étant donné les tendances préalables. Le lecteur avisé me dira peut-être que c’est là un effet inévitable d’une récession, que la mauvaise santé économique érode l’emploi, que l’on connaît les liens entre le chômage et le suicide depuis le XIXe siècle. Le hic, c’est que les mesures d’austérité visant à rétablir les finances des Etats frappent l’emploi d’un deuxième coup. Humainement pires par le résultat final, elles le sont aussi moralement : les politiques d’austérité sont délibérées, alors qu’une récession peut être «la faute à pas de chance». J’ai choisi de vous livrer cette citation pour insister sur un élément important : notre responsabilité concrète de décideurs politiques dans la situation de l’emploi et du logement, dans la mise en œuvre d’éventuelles mesures d’austérité et dans les effets terribles que ces mesures peuvent avoir, en particulier dans le secteur de la santé.

Chers collègues, le projet de résolution que vous avez sous les yeux contient des propositions visant à réduire les inégalités d'accès aux soins que je viens de vous exposer, notamment à travers la réduction de la part des dépenses de santé restant à la charge des patients les plus démunis et la dissociation des politiques de sécurité et de l'immigration de celle de la santé. Il convient de privilégier les considérations sanitaires et humanitaires sur toute autre considération et de souligner l'importance de protéger les groupes vulnérables. Dans un contexte de crise économique, le projet de résolution met aussi en garde contre les effets dangereux des mesures d'austérité sur l'accessibilité aux soins.

Quant au projet de recommandation, je tiens à regretter que le Conseil de l'Europe ne dispose plus d'un comité intergouvernemental œuvrant dans le domaine de la santé – depuis 2012, le Comité européen de la santé n'existe plus. Or le Conseil de l'Europe devrait, par tous les moyens à sa disposition, continuer de protéger le droit à la santé consacré par l'article 11 de la Charte sociale européenne révisée. L'objectif de la recommandation est donc de renforcer le rôle du Comité européen des droits sociaux dans la protection de ce droit.

Je vous invite à suivre les propositions figurant dans les deux projets.

 

Séparer la responsabilité politique de la responsabilité pénale – intervention de Andreas Gross et Luc Recordon

M. GROSS (Suisse), porte-parole du Groupe socialiste* – Au nom du Groupe socialiste, j’aimerais remercier M. Chope pour son rapport. C’est une excellente idée, très sage, qui est ici proposée. De très anciennes démocraties, britannique ou helvétique par exemple, ont des cours nationales qui ont des désaccords avec la Cour de Strasbourg. Les avis consultatifs seront l’occasion de le savoir en amont, avant qu’une décision ne soit prise par les instances nationales ou par la Cour européenne de Strasbourg.

Concernant les démocraties plus récentes, j’ai l’impression que la Cour ignore leurs normes, leurs logiques. La nouvelle procédure permettra un rapprochement. S’il n’y a pas de souhait exprimé de poursuivre le dialogue, il sera possible pour la Cour de manifester son désaccord.

Non contraignant, l’avis de la Cour laisse aux autorités judiciaires nationales une liberté d’interprétation. Le Commissaire aux droits de l’homme peut également contribuer au débat, ce qui est très positif. Cela permet une discussion à trois.

Très rapidement, dix premiers pays pourront ratifier le projet de Protocole no16, ce qui contribuera à diminuer la charge de travail de la Cour et ce qui permettra une meilleure compréhension de cet instrument essentiel de ces soixante dernières années.

 

M. RECORDON (Suisse) – Je me joins au concert de louanges adressées au rapporteur et au rapporteur pour avis.

Aussi excellents que soient leurs avis, je pense, comme la dernière oratrice, qu’il y a encore du travail et que nous devons étudier la question sous deux angles : d’une part, le droit matériel, dans le sens par exemple, de ce qu’a dit tout à l’heure M. Triantafyllos, et, d’autre part, le droit procédural.

S’agissant du droit matériel, ce sont essentiellement les incriminations de nature économique qui posent des problèmes de définition et de délimitation. Même en droit économique commun, nous le savons, lorsque les politiciens et les politiciennes ne sont pas impliqués, les définitions de la gestion déloyale et de l’abus de confiance – certains pays parlent d’abus de biens sociaux – pose problème ; il y a une grande marge d’appréciation. Seule une précision chiffrée, lorsque les pouvoirs publics sont en jeu, devrait permettre d’améliorer la sécurité du droit et d’éviter l’abus des situations, dans un sens comme dans l’autre d’ailleurs ; dans le sens d’une corruption ou dans le sens d’une utilisation à des fins politicardes du droit pénal.

En ce qui concerne la procédure, cela a été dit par Mme Čigāne, ce sont essentiellement les questions de confiance dans les juges qui interviennent. Il y a des processus et, in fine, il y a le recours à la Cour européenne des droits de l’homme. Malheureusement, ses décisions ne sont pas toujours respectées, et c’est probablement par des instruments comme notre commission de suivi que nous pourrions arrivés à être plus sévères et plus stricts à l’égard des pays qui ne respectent pas les injonctions de la Cour européenne des droits de l’homme.

Je dois dire que la présente partie de session m’a néanmoins rendu un peu pessimiste quant à l’efficacité des procédures de suivi que nous conduisons. Aujourd’hui nous faisons preuve d’une belle unanimité, ce qui n’a pas toujours été le cas au cours de la semaine, vous le savez bien.

Aussi je me pose la question de savoir, et peut-être que la commission juridique et des droits de l’homme pourrait y réfléchir, s’il ne faudrait pas utiliser des procédures plus directes. Par exemple, quand une personne en charge de hautes fonctions politiques dans un pays se plaint d’une situation abusive, ne pourrait-elle pas user, à titre exceptionnel, d’une voie plus directe menant à la Cour européenne des droits de l’homme au lieu de s’épuiser en recours internes qui, dans ces cas-là, sont peut-être excessifs. Et si ce n’est à la Cour européenne, à une instance particulière qu’il conviendrait d’établir pour ce type de situation.