(ats) Le Conseil fédéral devrait pouvoir exporter du matériel de guerre dans des pays qui ne respectent pas les droits de l'homme. Le Conseil des Etats a adopté jeudi par 27 voix contre 11 une motion de sa commission qui veut modifier la loi, contre l'avis de la gauche.

Le National doit encore se prononcer. Avec cette décision, la Chambre des cantons rouvre la discussion que le Parlement avait eue il y a deux ans lors de l'élaboration du contre-projet à l'initiative populaire "Contre les exportations d’armes dans des pays en proie à la guerre civile", dite initiative "correctrice".

L'idée est d'autoriser le Conseil fédéral à déroger aux critères d'autorisation pour les affaires avec l'étranger. Cette compétence serait conditionnée à des "circonstances exceptionnelles ou si "la sauvegarde des intérêts du pays en matière de politique extérieure ou intérieure l'exige".

Ce point avait été finalement rejeté par le Parlement lors de la révision de la loi sur le matériel de guerre. "Redonnons au Conseil fédéral une compétence dont il disposait auparavant", a soutenu Josef Dittli (PLR/UR), rappelant qu'on a aujourd'hui une guerre d'agression de la Russie en Ukraine.

Flexibilité nécessaire

Une dérogation laisserait une certaine flexibilité au gouvernement sans toucher au droit de la neutralité, selon le rapporteur de commission Alex Kuprecht (UDC/SZ). Le contre-projet en vigueur constitue un corset pour l'industrie d'armement suisse, a ajouté Werner Salzmann (UDC/BE).

"Notre industrie d'armement est là pour notre défense. Mais pour survivre, elle a besoin de livrer du matériel à l'international", a soutenu Andrea Gmür-Schönenberger (Centre/LU) qui avait à l'époque plaidé pour la suppression de ce droit de dérogation au gouvernement.

Motion opportuniste

La gauche a au contraire dénoncé ce projet ressorti à la faveur de la guerre en Ukraine. Cela contredit une exigence centrale de "l'initiative correctrice". "Je n'ai encore jamais vu en 16 ans au Parlement une telle manoeuvre pour revenir sur un contre-projet à une initiative populaire retirée seulement deux ans après", a dénoncé Daniel Jositsch (PS/ZH).

"Certes, il s'est passé beaucoup de choses depuis. Mais cette motion n'a rien à voir avec l'Ukraine", a martelé le Zurichois. La motion ne permettra pas d'exporter des armes dans un pays en guerre, conformément au droit de la neutralité. "Cette motion met au contraire en danger la neutralité".

Parmelin pour

Le Conseil fédéral était quant à lui déjà favorable à une telle dérogation il y a deux ans. Le conseiller fédéral Guy Parmelin a réitéré sa position jeudi: "Le contexte actuel ne fait que renforcer le besoin de cette compétence", a indiqué le chef du Département fédéral de l'économie.

Cette dérogation n'est en aucun cas un chèque en blanc au Conseil fédéral pour contourner les obligations de la loi sur le matériel de guerre. Mais la Suisse doit disposer d'un tel instrument pour réagir rapidement aux nouvelles réalités et assurer le maintien en Suisse d'une capacité industrielle adaptée aux besoins de notre propre défense.

C'est particulièrement le cas si les partenaires de la Suisse tels que les Etats-Unis, la France, l'Allemagne ou l'Italie devaient être impliqués dans un conflit armé international, a poursuivi le ministre. Les dispositions actuelles de la loi interdiraient toutes les exportations de matériel de guerre. Les pièces détachées et les éléments d'assemblage seraient aussi concernés. "Cela pourrait représenter un gros défi pour la Suisse", selon le Vaudois.

Le Groupement pour une Suisse sans armée (GSsA) a manifesté jeudi à Berne pour exprimer son opposition au projet. "Le Conseil des Etats annule l'initiative correctrice", a indiqué le secrétaire du GSsA Jonas Heeb. La motion ouvre la porte aux exportations d'armes vers des pays comme la Turquie, l'Arabie saoudite et d'autres Etats du Golfe.