En 1885 est lancé le concours pour ce qui deviendra le Palais fédéral Est ainsi que l’actuel Palais du Parlement. Le pragmatisme, vertu suisse par excellence, sera couronné.

​L’administration manque de place

Depuis la révision constitutionnelle de 1874, la Confédération a hérité d’un grand nombre de tâches dévolues auparavant aux cantons: l’administration fédérale souffre d’un manque aigu de place. Le Palais fédéral suisse – l’actuelle aile ouest du Palais fédéral – ne suffit clairement plus: il est temps de songer à de nouveaux locaux.

Le concours fut lancé le 3 février 1885. La population ne cessant d’augmenter, la salle du Conseil national devient également exiguë pour les parlementaires. En plus d’un bâtiment pour l’administration fédérale, les concurrents sont donc priés de réfléchir aussi à un nouveau Palais du Parlement.

Les concurrents…

Sur les 36 architectes concurrents, le premier et le deuxième prix ont étudié à l’EPFZ, sous l’égide de l’architecte allemand Gottfried Semper. Cette star du petit monde de l’architecture de l’époque est l’un des tout premiers tenants du fonctionnalisme en architecture – ce qui signifie que chaque élément d’un bâtiment doit avoir une fonction précise.

Le gagnant du concours, Alfred Friedrich Bluntschli, a hérité de la chaire de Semper à l’EPFZ en 1881, où il enseignera jusqu’en 1914. Auparavant, il avait travaillé avec succès à Francfort-sur-le-Main aux côtés de Jonas Mylius, autre élève de Semper, avec lequel il avait fondé une collaboration fructueuse.

Le deuxième prix, Hans Wilhelm Auer, a également une belle carrière derrière lui: il a travaillé pour l’architecte viennois Theophil von Hansen, et a été son maître d’œuvre pour la construction du Parlement autrichien.

Hans Wilhelm Auer 

 

Hans Wilhelm Auer (in: Andreas Müller: Der verbitterte Bundeshausarchitekt. Orell Füssli Verlag, Zürich 2002 /Public Domain Mark)

Hans Wilhelm Auer 

 

Alfred Friedrich Bluntschli (ETH-Bibliothek Zürich, Bildarchiv / Fotograf: Zipfel, Ludwig / Portr_16191-078-AL-FL / Public Domain Mark)

… et leur projet

Les plans de Buntschli sont clairement influencés par les idées de son maître Gottfried Semper: le Parlement est doté d’un fronton à pignon monumental, d’inspiration grecque, qui rappelle le caractère démocratique de l’Etat suisse. Chaque bâtiment est conçu de manière à rappeler sa fonction, et ils ne sont pas symétriques. Ceci correspond aux théories de Semper, qui voyait dans les structures symétriques des villes un reflet de l’expression du despotisme – contrairement au développement organique des villes grecques, sous le soleil de la liberté.
Auer s’est distancé de son maître. Il a créé un projet symétrique, doté d’une majestueuse coupole – selon lui, un groupe de bâtiment de 300 mètres nécessite un point central qui domine le tout.

Chacun son gagnant

Trois des membres du jury ont étudié chez Semper: ils adhèrent au projet de Bluntschli, dont ils décodent à merveille toutes les intentions. Mais les politiciens ne voient pas ces plans du même œil. Le projet de Bluntschli donne beaucoup de place au Palais – beaucoup moins au bâtiment administratif, qu’il a ramassé autour de deux petites cours intérieures. Le Conseil fédéral, pragmatique, lui préfère un bâtiment ouvert et qui offre plus d’espace aux fonctionnaires – ce qui correspond au projet d’Hans Auer. Et comme l’explique devant le Conseil national le rapporteur de la commission compétente, choisir ce projet n’empêchera pas «la construction ultérieure d’un Palais du Parlement correspondant aux plans de Bluntschli».

Le Parlement adopte le projet d’Hans Wilhelm Auer à la fin de l’année 1887; début 1888, l’architecte emménage avec toute sa famille à Berne, pour y diriger les travaux.

 

 

Le projet d’Auer aménage beaucoup de place pour les fonctionnaires (ETH-Bibliothek Zürich, Bildarchiv / Fotograf: nicht anwendbar / Ans_04419 / Public Domain Mark)

 

 

Le projet de Bluntschli ramasse les bâtiments administratifs autour de deux petites cours intérieures (ETH-Bibliothek Zürich, Bildarchiv / Fotograf: Vollenweider und Sohn (Bern) / Ans_04416 / Public Domain Mark)

La touche finale: le Palais du Parlement

En 1891, le gouvernement demande aux deux architectes de présenter un nouveau projet pour le Palais du Parlement. Auer soumet le développement de son projet de 1885. Bluntschli, quant à lui, a jeté ses principes par-dessus bord: il érige une énorme coupole au-dessus du Palais du Parlement. Le jury n’est convaincu ni par l’un, ni par l’autre. La balle est donc dans le camp du gouvernement. Une fois encore, c’est le pragmatisme qui gagne: le gouvernement choisit de donner le contrat à Auer.

Le lauréat a en effet prouvé qu’il était parfaitement capable de mener à bien un projet d’une telle envergure. Et comme il a emménagé à Berne pour suivre le chantier du Palais fédéral Est, il pourra investir toutes ses forces dans le projet. Bluntschli, qui enseigne toujours à l’EPFZ, aurait moins de temps. 

Le projet sera finalement adopté à la session de mars 1894 et l’histoire retiendra le nom de Hans Wilhelm Auer.

Source: Andreas Müller: Der verbitterte Bundeshausarchitekt. Orell Füssli Verlag, Zürich 2002
Photo d’en-tête: le premier palais fédéral (Burgerbibliothek Bern; cote: Gr_C_151)

 

Auteur

Services du Parlement
CH-3003 Bern

D’autres articles

 

S'abonner aux articles du blog

Les nouveaux articles du blog directement dans votre boîte mail? Alors cliquez sur ce lien! Choisissez en haut à droite le bouton «S'abonner aux résultats de la recherche», puis écrivez votre adresse e-mail et activez les notifications.