<p>Le Parlement tire à boulets rouges sur le Conseil fédéral dans l'affaire libyenne. Jamais informé comme il faut par ses membres concernés, le gouvernement a très mal géré la crise. Micheline Calmy-Rey comme Hans-Rudolf Merz ont outrepassé leurs compétences. </p>
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Très attendu, le rapport de la commission de gestion du Conseil des Etats sur la gestion du dossier, publié vendredi, ne contient pas de grandes révélations mais confirme des dysfonctionnements à répétition. La communication pèche dès le départ.

Le 14 juillet 2008, à la veille de l'arrestation de Hannibal Kadhafi, le Département des affaires étrangères (DFAE) est consulté par le canton de Genève via la mission suisse de l'ONU. Mais personne ne juge bon de faire remonter l'information jusqu'à Micheline Calmy-Rey.

Juridiquement correcte, cette décision empêche la socialiste d'évaluer les risques de l'intervention et de mener une discussion politique avec les autorités genevoises. Impossible toutefois de dire si cela aurait pu éviter la crise, jugent les parlementaires.

Pas un thème du Conseil fédéral

Mise au courant, Mme Calmy-Rey prend les choses en main et informe le Conseil fédéral par oral ou via des notes d'information. Mais aucune discussion approfondie n'est menée au sein du collège: "ce n'est pas un sujet au Conseil fédéral", résume le président de la commission de gestion Peter Briner.

Tout change le 17 juin 2009. Pour débloquer le dossier, le Conseil fédéral le transfère au président de la Confédération Hans-Rudolf Merz mais sans mandat formel. L'étendue des compétences confiées et la répartition des tâches avec le DFAE ne sont ainsi pas définies.

La collaboration entre Mme Calmy-Rey et M. Merz dégénère. La première refuse de prêter son secrétaire d'Etat adjoint à l'Appenzellois pour son voyage à Tripoli et le second ne l'informe pas de la signature de l'accord. La socialiste se venge en contredisant par "sms" en pleine conférence de presse les propos tenus par M. Merz à son retour de Libye sans les otages.

Hans-Rudolf Merz sans filet

La commission de gestion s'insurge contre l'opération cavalier seul du président. Il s'est envolé pour signer un accord avec Tripoli après avoir dit le jour même à ses collègues qu'il n'irait pas.

Sans leur feu vert, il a outrepassé ses compétences et pris un gros risque politique, juge la commission de gestion. S'il était rentré avec les otages, on aurait toutefois loué son courage, et salué l'opération, a relativisé M. Briner.

Plans d'exfiltrations

Le DFAE envisage de son côté d'exfiltrer les otages. Jusqu'à la fin de l'automne 2008, l'armée suisse lui met à disposition des membres de son détachement de reconnaissance DRA10. Samuel Schmid est d'accord, mais il ne juge pas bon d'en informer son successeur Ueli Maurer, pensant que les activités ont été suspendues.

Le collège n'est lui jamais informé officiellement de ces plans: ni la cheffe du DFAE, ni le chef du DDPS ne le jugent utile. Même M. Merz se contente d'une allusion faite par Pascal Couchepin en marge d'un repas.

Au nom du secret défense, la commission de gestion ne dévoile pas grand chose des plans échafaudés. Mais le Bâlois Claude Janiak précise: il n'y a jamais eu d'ordre donné pour une action visant à libérer les otages Max Göldi et Rachid Hamdani. Les deux Suisses n'ont pas été activement intégrés à des préparatifs et le recours à la force n'était pas planifié.

Pour les parlementaires, le recours au détachement DRA10 n'aurait pas posé de problème de légalité. Mais faute d'un mandat du Conseil fédéral, les opérations amorcées par le DFAE ont excédé les compétences accordées par ordonnance au département.

L'attaché militaire au Caire avait aussi ses plans pour libérer les otages, mais il s'agissait d'une initiative individuelle sans implication du DFAE. Ueli Maurer a en revanche abordé la question avec l'attaché, mais jugé ces plans qui incluait un "jet-ski" un peu aventureux.

Désinformation ciblée

L'organe de surveillance épingle enfin le Conseil fédéral sur des fuites aux médias. Selon lui, elles ne peuvent venir que de l'entourage proche des départements concernés, une "désinformation ciblée" qui doit céder la place à l'esprit d'équipe.

Le rapport fait des recommandations pour améliorer l'information et l'attribution de compétences dans le collège. Les cantons doivent aussi être mieux associés à la politique extérieure.

 

ATS, 3 décembre 2010