La Suisse est le premier pays d’Europe à avoir introduit, dès 1877, une protection légale pour les mères et les femmes enceintes. Sans pour autant leur accorder d’indemnité qui aurait pu compenser l’interdiction de travailler durant plusieurs semaines.

Au cours des décennies suivantes, les pays voisins ont mis en place différents régimes d’assurance. En Suisse, les premières actions visant à instaurer une assurance-maternité ont été lancées peu après 1877, comme la Lex Forrer de 1900 sur l’assurance-maladie et accidents, qui prévoyait une indemnité pour les parturientes, ou la pétition déposée en 1904 par l’Alliance de sociétés féminines suisses et soutenue par différentes associations d’ouvrières. Aucune de ces interventions parlementaires n’a abouti. La loi fédérale de 1912 sur l'assurance en cas de maladie et d’accidents a certes atténué légèrement les conséquences de l’interdiction de travailler entre six et huit semaines après la naissance, mais seulement pour les rares femmes assurées.

Première victoire : le mandat constitutionnel de 1945

Dans le sillage de l’initiative populaire « pour la famille » lancée par les catholiques-conservateurs, et en réaction à la pénurie de main-d’œuvre due à la guerre, le contre-projet du Conseil fédéral a été accepté en 1945 par le peuple et les cantons, grâce au soutien du PS et des partis bourgeois ainsi que du mouvement féministe. L’art. 34quinquies introduit dans la Constitution chargeait la Confédération de légiférer en matière d’assurance-maternité et d’allocations familiales. Cependant, il a fallu attendre des décennies avant que ces deux mandats soient mis en œuvre.

Au cours des années 1960 et 1970, la Suisse s’est trouvée de plus en plus marginalisée en Europe sur le plan de la protection de la maternité. L’introduction du droit de vote des femmes en 1971 n’a pas fait émerger de nouvelle majorité. En 1974, l’initiative populaire « pour une meilleure assurance-maladie », lancée par le parti socialiste et l’Union syndicale suisse, ainsi que le contre-projet présenté par le Conseil fédéral et le Parlement ont été rejetés en votation. Les deux proposaient d’introduire une réglementation ad hoc dans le cadre de l’assurance-maladie et accidents.

À la fin des années 1970, les associations de femmes, les syndicats et les partis de gauche ont lancé l’initiative populaire « pour une protection efficace de la maternité », qui visait à modifier la Constitution et demandait que la législation d’exécution soit mise en vigueur dans un délai de cinq ans. L’initiative a été rejetée par le peuple lors de la votation populaire de 1984. Le projet de révision partielle de la loi sur l’assurance-maladie, qui voulait financer une assurance-maternité par un prélèvement sur les salaires, a également échoué devant le peuple en 1987.

L’idéal bourgeois de la mère qui se sacrifie et du père nourricier chef de famille a prédominé jusque tard dans le XXe siècle. La maternité était considérée comme une affaire privée, un risque « naturel » qui ne méritait pas de protection sociale particulière. et entraîné l’échec récurrent des tentatives d’introduire une assurance-maternité. Les mères mariées exerçant une activité professionnelle n’étaient pas compatibles avec cette image. La mise en garde contre les coûts imprévisibles d’une telle assurance a également produit ses effets.

Nouvelle dynamique dans les années 1990 et avancée tardive

La grève des femmes de 1991 et l’entrée en fonction en 1993 de Ruth Dreifuss (PS/GE, 1940), la nouvelle chef du Département de l’intérieur, ont donné un nouveau souffle à ce processus. Un projet a vu le jour, proposant une APG pour les femmes exerçant une activité lucrative ainsi qu’une prestation de base unique pour les mères avec ou sans activité lucrative. L’UDC et le PLR ainsi que des acteurs de l’économie ont demandé le référendum. La prestation de base pour les mères sans activité lucrative les dérangeait tout particulièrement. En 1999, 61 % des citoyens suisses se sont prononcés contre le projet. Par la suite, le canton de Genève a introduit sa propre assurance-maternité. Dans les autres cantons, les femmes actives sont restées assujetties aux règles fixées dans le code des obligations et dans leur contrat de travail, donc au pouvoir discrétionnaire des employeurs, dont les prestations variaient énormément.

L’une des dernières lacunes

Après la défaite de 1999, les parties en présence ont convenu qu’il fallait rapidement trouver une solution. Par la suite, de nombreuses interventions ont été déposées au Parlement, dont l’initiative parlementaire 01.426 du conseiller national Pierre Triponez (FDP/BE, 1943), qui semblait la plus à même de remporter une victoire dans les urnes. Cette initiative a trouvé un large soutien au sein des deux conseils. Le 26 septembre 2004, 55,5 % des votants ont finalement accepté le projet. La révision de la loi sur les allocations pour perte de gain est entrée en vigueur le 1er juillet 2005, comblant ainsi l’une des dernières grandes lacunes du système de sécurité sociale.

Ce succès est certes dû à la pression politique constante, exercée surtout par les femmes engagées et le mouvement des femmes, mais il s’explique aussi par les profondes mutations sociales qu’a connues la Suisse à la fin du XXe siècle et qui ont entraîné des changements à plusieurs niveaux. Depuis le début du XXIe siècle, la mère d’enfants mineurs qui exerce une activité professionnelle fait partie de la norme sociale et la conciliation entre vie familiale et activité professionnelle est devenue l’un des principaux objectifs politiques de (presque) tous les partis.

L’assurance-maternité est entrée en vigueur le 1er juillet 2005, après une vingtaine de tentatives infructueuses au niveau fédéral. L’ancienne conseillère nationale Jacqueline Fehr (PS/ZH), actuellement conseillère d’État du canton de Zurich, évoque l’entente trouvée avec l’ancien conseiller national Pierre Triponez (PLR/BE), alors président de l’Union suisse des arts et métiers.