La commission d’enquête parlementaire (CEP) instituée le 8 juin 2023 était chargée d’enquêter sur la gestion par les autorités dans le contexte de la fusion d’urgence de Credit Suisse avec UBS. L’enquête a porté sur Credit Suisse dans la mesure où cela était nécessaire à l’évaluation des activités menées par les autorités. Le conseil d’administration et la direction de Credit Suisse de ces dernières années sont responsables de la perte de confiance dans la banque et des difficultés que celle-ci a rencontrées, et qui se sont accrues jusqu’à mettre en péril l’existence même de l’entreprise en mars 2023. Ils ont été réticents à l’égard des nombreuses interventions de la FINMA. Du côté des autorités, la CEP n’a pu constater aucun comportement fautif causal dans son rapport final.
La CEP a adopté son rapport à l’unanimité lors de sa dernière séance du 17 décembre 2024. Elle le publie aujourd’hui, de même que les neuf rapports d’expertise qu’elle a commandés.
L’enquête menée par la CEP s’est concentrée sur le Conseil fédéral in corpore et sur les parties au Memorandum of Understanding (MoU) pour la stabilité financière – à savoir le Département fédéral des finances (DFF) et ses offices compétents en la matière, l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) et la Banque nationale suisse (BNS) – ainsi que sur l’Autorité fédérale de surveillance en matière de révision (ASR). La CEP a pris l’année 2015 comme point de départ de son enquête, en distinguant quatre périodes : la première court de 2015 à l’été 2022, la deuxième couvre l’automne 2022 à mi-mars 2023, la troisième comprend la crise aiguë du 15 au 19 mars et la quatrième concerne la mise en oeuvre de la fusion. La CEP s’est focalisée plus particulièrement sur les trois premières périodes.
Avant la crise : absence de PLB et allègements de fonds propres trop importants
En ce qui concerne l’avant-crise, la CEP s’est intéressée en particulier au développement de la réglementation too big to fail (TBTF). Elle a constaté que le Conseil fédéral et le Parlement avaient accordé une trop grande importance aux exigences des établissements bancaires d’importance systémique, en particulier à partir de 2015, dans la mise en oeuvre les normes internationales (Bâle III, principes du CBCB et du CSF). Ainsi, le Conseil fédéral a parfois prolongé les délais transitoires lors de développements législatifs ou a tardé à proposer d’adopter les normes internationales. La CEP estime que le Conseil fédéral s’est montré trop hésitant, notamment dans l’introduction d’un mécanisme public de garantie des liquidités (Public Liquidity Backstop, PLB).
La CEP a également accordé une attention particulière à la gestion des affaires par la FINMA. Selon elle, même si l’autorité a exercé son activité de surveillance de manière intensive, celle-ci n’a eu qu’un effet limité : en dépit des nombreuses procédure d’enforcement et des avertissements de la FINMA, Credit Suisse a enchaîné les scandales. La commission regrette qu’à l’époque, la FINMA n’ait pas prononcé de retrait de l’attestation d’activité irréprochable.
La CEP ne comprend pas qu’en 2017, la FINMA ait accordé à Credit Suisse de vastes allègements de fonds propres sous la forme d’un filtre réglementaire. Ce filtre a permis à la banque de passer de l’évaluation globale à l’évaluation individuelle – il s’agit de prescriptions relatives à la présentation des comptes – sans augmentation substantielle et immédiate des fonds propres. Même si le filtre réglementaire était légal, la commission remet en question son opportunité : les effets du filtre ont nettement dépassé ce qui était attendu puisque sans lui, Credit Suisse aurait déjà eu de la peine à satisfaire aux exigences réglementaires en matière de fonds propres en 2021 et en aurait été absolument incapable dès 2022. La CEP estime que des mesures relatives à l’octroi d’allègements aux banques d’importance systémique s’imposent d’urgence.
Marge de manoeuvre limitée à l’automne 2022
Les différents indicateurs reflétant la situation économique de Credit Suisse se sont détériorés nettement durant l’année 2022. Début octobre et fin décembre, la banque a enregistré des sorties massives de capitaux et se trouvait au bord de l’insolvabilité. Les autorités ont activé leurs organes de coordination en cas de crise en août et sont passées au mode de crise en octobre.
Les scénarios de sortie de crise élaborés dès le départ comprenaient tant les options prévues par le régime TBTF (liquidation ou assainissement ; ELA) que de nouvelles mesures (TPO ; ELA+ ; reprise). La CEP considère que les principaux scénarios possibles ont été analysés. Elle critique néanmoins le fait que durant cette phase, toutes les autorités impliquées n’avaient pas le même niveau de connaissances ; cela peut avoir retardé leur intervention résolue. La commission trouve en particulier que l’information du Conseil fédéral à l’automne 2022 laissait à désirer. Elle émet également des réserves quant à l’opportunité des rencontres informelles lancées à l’automne par le chef du DFF et le président de la BNS, étant donné qu’elles étaient trop peu coordonnées avec les structures de crise réglementaires. Si la législation suisse avait déjà prévu le PLB, les autorités auraient en outre pu intervenir dès l’automne pour rétablir la confiance, sans devoir recourir au droit de nécessité. Le filtre réglementaire accordé en 2017 a également restreint la marge de manoeuvre.
Recherche intensive de solutions dans des conditions difficiles en mars 2023
À la mi-mars 2023, la crise de banques régionales aux États-Unis et ses conséquences indirectes sur Credit Suisse ont surpris les autorités fédérales. À ce moment-là, elles n’avaient pas encore terminé leurs analyses des différents scénarios. Grâce aux importants travaux préliminaires menés depuis l’automne 2022, elles ont toutefois été en mesure, à partir du déclenchement de la crise aigüe, le mercredi 15 mars 2023, de maintenir la solvabilité de Credit Suisse jusqu’à la fin de la semaine, et d’éviter ainsi une crise financière internationale. La fusion avec UBS était la solution préférée par toutes les autorités impliquées au moins à partir du moment où la crise aigüe a commencé.
Compte tenu de l’issue incertaine des négociations laborieuses entre UBS et Credit Suisse, les autorités ont continué en mars à travailler sur différentes options, à savoir un assainissement, une reprise à court terme par l’État ou, en dernier recours, une fusion forcée. Il reste peu clair quelle est la solution qui aurait été retenue si la fusion d’urgence avait échoué.
Durant leur recherche d’une solution, les autorités ont veillé à équilibrer les intérêts respectifs de Credit Suisse et d’UBS ainsi qu’à ne pas perdre de vue les conséquences sur les finances de la Confédération. Le recours au droit de nécessité était légal. Compte tenu de l’urgence de la situation, la CEP comprend qu’il n’était plus possible de mettre en oeuvre une solution impliquant une banque étrangère, même si, sur le long terme, cela aurait sans aucun doute été plus favorable du point de vue de la compétitivité en Suisse. La CEP est en outre d’avis que la solution mise en oeuvre a mis en évidence certaines faiblesses du régime TBTF en vigueur.
La réglementation TBTF ne résiste pas à une crise de confiance et autres conclusions
La CEP reconnaît la performance des autorités en mars 2023, qui ont évité une crise financière mondiale. À ses yeux, il faut toutefois impérativement tirer les enseignements de la gestion de la crise de Credit Suisse, d’autant qu’il s’agit déjà de la deuxième fois que l’État doit intervenir pour empêcher l’assainissement ou la liquidation d’une banque d’importance systémique et que la Suisse ne compte désormais plus qu’une seule banque d’importance systémique mondiale (G-SIB).
La CEP identifie des améliorations à apporter au niveau de l’exécution et au niveau législatif. Dans son rapport, elle adresse vingt recommandations au Conseil fédéral et dépose six postulats, quatre motions et une initiative parlementaire. La commission est parvenue à la conclusion que la législation TBTF, en particulier en ce qui concerne les plans d’urgence, est trop focalisée sur la Suisse et que le plan de liquidation ou d’assainissement d’une G-SIB qui déploie ses activités internationales depuis la Suisse doit impérativement prendre en compte les imbrications internationales. La réglementation TBTF n’a par ailleurs pas été conçue pour s’appliquer à une crise de confiance et néglige d’importants indicateurs du marché. Il convient également de limiter les allègements touchant aux exigences en matière de fonds propres et de liquidités. La commission estime par ailleurs que la réglementation actuelle de la surveillance en matière de révision doit être revue.
La coordination entre les différentes autorités n’a pas non plus fonctionné de manière optimale, et le Conseil fédéral aurait pu être mieux informé – l’échange d’informations doit spécialement être amélioré. Il faut par ailleurs améliorer la gestion des risques et la détection précoce des crises.
UBS, la seule G-SIB restante en Suisse, est bien plus grande par rapport au produit intérieur brut (PIB) suisse que d’autres établissements financiers par rapport au PIB du pays concerné. La CEP juge indispensable de tenir compte de cette situation comme il se doit dans la réglementation.
Au cours des 18 derniers mois,
sous la présidence d’Isabelle Chassot (Le Centre, FR), la CEP a tenu 45 séances, pendant lesquelles elle a mené 79 auditions et analysé plus de 30 000 pages de documents. Elle a présenté les résultats de son enquête aux Chambres fédérales dans le rapport ci-joint. À l’été et à l’automne derniers, la CEP a consulté les autorités et services concernés ainsi que tous les membres du Conseil fédéral sur différentes parties de ce rapport et, le 16 décembre 2024, elle a ententu une délégation du Conseil fédéral sur le projet de rapport, conformément à l’art. 167, al. 2, de la loi sur le Parlement. Le Conseil fédéral a désormais la possibilité de rédiger une prise de position sur la base du rapport final d’ici à la prochaine session. Le rapport final sera examiné par les conseils à la session de printemps 2025.